Publié dans Veille Mag le 28 juin 2019
CREDITS THINKSTOCK PHOTOS, SPINOVA 2016
Par le Docteur Catherine Pouget Université Paris-Dauphine, Présidente de SPINOVA
Management et cognition
Introduction
Depuis ses débuts dans les années 1970[1], l’intelligence artificielle est source d’espoirs mais aussi d’angoisses. Les nouvelles techniques qui ont mené à des révolutions ont toujours été source d’incertitudes : L’Homme a cru que la mécanisation remplacerait ses bras et ses jambes, elle lui a permis d’économiser sa force dans des tâches pénibles, il a cru que l’ordinateur remplacerait son cerveau, il lui a permis de soulager sa mémoire, il craignait que la robotisation l’élimine complètement des usines, elle lui a permis de s’extraire des tâches répétitives. Pour autant l’intelligence artificielle réveille son implication et sa vigilance. Il en est le concepteur et le futur utilisateur, en quelque sorte il décide de sa finalité. Paradoxalement l’Homme est bien au cœur du sujet et l’IA relève des priorités en innovation après l’OPA réussie de la digitalisation depuis plus de 10 ans.
Qu’est-ce que l’IA ?
Comment la définir ? Classée dans le champ des sciences cognitives[2], selon John McCarthy[3] qui aurait défini le terme, ce serait « la simulation de l’esprit dans une machine ». Selon une définition plus actualisée du Larousse: « c’est l’ensemble des théories et des techniques mises en œuvre en vue de réaliser des machines capables de simuler l’intelligence humaine. »
Force est de constater que c’est plus difficile que ce qu’on imaginait. Le grand projet européen The Human Brain Project[4] (simuler l’esprit humain avec un ordinateur) voit son échéance repoussée de 2020 à 2024. Pourtant ses enjeux économiques et sociétaux bouleverseront nos usages s’ils ne le font pas déjà…. En effet aujourd’hui l’IA c’est 270 start-ups[i] en France.
1-L’intelligence artificielle : un remplaçant ou un double ?[5]
Qu’est-il possible de faire avec une IA ? L’intelligence artificielle a profité des avancées combinées des mathématiques, de l’informatique (algorithme) et de la neurobiologie. Elle profite aussi des connaissances acquises en robotisation et cobotique (Robot logiciel) – en d’autres termes la reproduction des mouvements et des gestes basées aussi sur la physiologie de la perception -. Elle profite aussi du développement des Big datas : de grande masse d’informations structurées qui ont appelé au développement de nouvelles approches et méthodes d’analyses associées à la diffusion du cloud et du développement des capacités sans précédent des calculateurs et l’abaissement des coûts matériels. l’Homme profite de l’IA en s’évitant des calculs fastidieux…. Et elle le surpasse : le jeu d’échecs en 1997, le jeu de go en 2016 et le poker en 2017. Notons que ceux sont des situations avec un univers déterminé aux règles du jeu précises avec un certains nombres d’éléments connus. L’IA ne sait pas faire face aux imprévus. Cependant ce n’est pas tout. Dans certains secteurs comme ceux de la voix, elle s’appuie sur la combinaison des avancées des logiciels sémantiques et de la reconnaissance vocale : un serveur vocal peut désormais reconnaître le besoin énoncé par un appelant et le connecter au bon interlocuteur. En revanche l’intelligence artificielle aujourd’hui ne peut pas prendre d’initiative (prendre en compte un besoin énoncé qui n’est pas encore répertorié dans « son logiciel »), ne sait pas quoi faire devant une situation imprévue et n’a pas toujours la réponse adaptée à une situation. Si elle est capable comme Sophia[6] de David Hanson[7], de reproduire 63 expressions faciales et de discuter en langage naturel avec vous, elle n’est pas capable de saisir toutes vos émotions et d’y adapter son discours de façon pertinente, elle ne sait pas saisir non plus les ambiguïtés de langage…[8] Aussi l’IA pour ces raisons peut devenir un double mais pas un remplaçant de l’homme à ce stade et même si c’est le cas un jour, il reviendra à l’Homme d’en prendre la décision. Elle peut néanmoins lui être d’une aide précieuse aussi dans des activités diverses de créativité, résolution de problème et prise de décision tout en respectant une certaine éthique. C’est la préoccupation d’une équipe d’experts nommés par la commission européenne depuis le 9 mars 2018[9] mais aussi de toute personne contribuant à son développement. Dans tous les cas, l’IA intéresse les Particuliers, les Organisations et la Cité dans toutes leurs activités quotidiennes.
2 Quelles sont les applications aujourd’hui et quelles attentes sont identifiées?
Différents secteurs ont déjà pris les devants. Si le véhicule autonome[10] pose encore des questions éthiques et juridiques, la relation client virtuelle est déjà une réalité et la tendance est de néanmoins préserver une relation client traditionnelle segmentée par un chatbot. La technologie reste duale : créée pour un contexte et façonnée par celui-ci.
L’assistant vocal se développe, grâce à la reconnaissance vocale qui est capable de reconnaître la voix même avec des accents ! Cependant il reste à soustraire le bruit, le travail sur les langues natives, passer un niveau de compréhension et créer une voix humanoïde pouvant interagir. Chacun d’entre nous entrevoit les possibilités de l’IA dans notre quotidien avec les objets connectés, l’entretien de la maison. Les chatbots aussi ont fait du chemin et l’Oréal vient d’annoncer le lancement d’un projet de chatbot pour les RH afin d’optimiser la sélection des candidats[11].
Dans l’industrie 4.0 la blockchain permettra de flexibiliser la production en fonction de la demande client, on peut imaginer que l’IA pourra aussi optimiser le coût et la consommation d’énergie en même temps que les fonctionnalités des produits et ceci en fonction de l’évolution des besoins des clients au cours de la production.
Si la robotique s’est développée en logistique, elle émerge en médecine. L’IA pourra renforcer leur reconnaissance de l’environnement, leur navigation et leur reconfiguration. Pour la vision, l’IA pourrait reconstituer une image, un environnement vue partiellement par un individu (OrCam avec My eye)[12]. En santé l’excellence de la France est reconnue, la télémédecine se développe et le traitement des données de santé pourra être soutenue tenant compte bien sûr de l’anonymat des données. C’est le cas avec le projet européen Primage[13] en oncologie pédiatrique auquel contribue indirectement Medexprim[14] fondé par Karine Seymour et membre de Biomed Alliance. En constituant, anonymisant et trouvant des signatures d’imagerie, elle facilite le diagnostic en imagerie médicale et la prévention. On imagine les applications possibles de diagnostics plus rapides et prévenants des erreurs. L’IA pourra répondre aux contraintes combinées de la réglementation et des situations d’urgence : grâce à la reconnaissance d’empreintes et d’Iris autonomes sont déjà utilisées dans des systèmes de sécurité.
Au-delà du calculateur Alpha-Go de Google, la voiture autonome de Tesla, L’enceinte Echo d’Amazon, l’assistant personnel d’Apple (Siri) ou l’industrie 4.0 qui fait son chemin, on a très concrètement Amazon qui a dorénavant un entrepôt sur l’ancienne base aérienne de Brétigny sur Orge qui fait travailler 3000 robots kiva qui vont déplacer les étagères vers les collaborateurs depuis mars 2019. Aux Etats-Unis, les robots évaluent les travailleurs et proposent déjà leur licenciement[15] !
Sur des activités plus complexes des plateformes existent et pourront s’améliorer. Dans le domaine du crédit October permet des études en quelques secondes au lieu d’une semaine avec les traditionnels intermédiaires. L’IA pour Olivier Goy, Pdg d’October pourra conduire au remplacement du conseiller financier (fintech) ou du moins le poussera vers un rôle de réviseur de dossier maintenant le lien avec le client comme cela pourra aussi être le cas en assurance. En effet l’IA dans le traitement sémantique pourrait créer des applications qui en testent comparent déjà des contrats d’assurance sur certains critères et peut répondre aux questions précises des clients (Recital). Le secteur de la finance de façon plus large, toujours plus concurrentiel verra certainement bouleversé sa relation client avec l’IA, la question est aussi de maîtriser les risques notamment sur les marchés grâce à des algorithmes qui peinent encore à prédire la pérennité et l’amplitude des retournements.
Dans l’éducation le sujet est sensible. L’IA permettra de développer les processus d’apprentissage et leur contenu. En 2009 lors d’un congrès à Fribourg avec des collègues nous avions réfléchi au futur rôle du professeur. Déjà remis en cause par internet grâce à la diffusion des connaissances et ce sur divers supports, la question se posait de façon aigüe. Nous avions abouti à un futur rôle d’hologramme cognitif sorte de double capable de répondre aux questions à tout moment et d’improviser n’importe où et n’importe quand une séance ou un atelier sur tel ou tel sujet… Le rêve deviendra peut-être réalité…
Pour la Cité les sociétés de sondage l’utilisent déjà. Où plus exactement utilisent des versions poussées de l’analyse sémantique automatique. C’est ainsi qu’Opinion Way a traité les cinq millions de contributions du Grand Débat avec Qwam, enfin les premiers regroupements seulement. En revanche leur vérification et l’affinage des catégories sont restés à la réflexion des analystes précise le DGA Bruno Jeanbart. L’enjeu étant de faire émerger de la masse d’informations les tendances connues mais aussi et surtout ce à quoi les analystes ne s’attendaient pas. Depuis l’élection de Macron, les instituts y sont attentifs. De nombreuses autres applications sont envisageables. Karos est un projet de combinaison voiture / transports en commun pour développer la mobilité des personnes et la fluidification des réseaux en France tout comme dans les villes nordiques de Finlande et d’Islande avec le projet Nordic Urban Living Labs[16]. D’autres applications plus ambitieuses existent pour le transport aérien, la sécurité et l’espace. Nous ne sommes peut-être plus qu’à quelques encablures du 5ème élément : Boeing a déjà fait voler une voiture électrique autonome dans les airs à Manassas en Virginie durant 80 km. Il reste que c’est Shanghaï[17] en Chine qui va accueillir le plus grand laboratoire d’Intelligence artificielle de Microsoft. Ville, la plus avancée, semble-t-il, dans la vision intégrative des différentes applications de l’IA (Big Data, Cloud, IoT, Véhicule autonome, Interaction homme-machine, Blockchain, publicité numérique) avec la puissance combinée de Tencent, Baidu, et Alibaba. L’exploitation des données satellite et son observation en continue (Earthcube) permettent de venir en complément de réseau informel : détection de l’intrusion dans un camp militaire, repérage de pêche illicite dans un endroit interdit, pénétration dans un bâtiment contrôlé grâce à la comparaison d’images satellite chronologiques. Pour des applications relatives à l’espace Julien Cantegreil a étudié pendant 6 mois l’identification des pannes satellites, puis après avoir lancé Strike (certification de produits dérivés) a lancé Spaceable pour la certification de pannes satellite afin d’éviter de lancer des réparations mal définies ou sans lieu d’être.
Des domaines d’application sont encore à explorer dans le luxe et la grande distribution mais aussi dans les fonctions support en entreprise.
Autant dire que si l’IA détruit des emplois, elle en créera aussi : 21 millions selon le cabinet américain Cogniziant[ii] : «Agent de la diversité génétique», «sherpa de magasin virtuel», «conservateur de la mémoire personnelle». Selon un rapport Dell et de l’Institut pour le futur de Palo Alto, 85% des emplois de 2030 sont à créer… – et le travail restera l’avenir de l’homme[iii] en l’extirpant de travaux fastidieux et en soulageant en partie sa vigilance.
3 Quels seront ses rôles? Initier, stimuler, assister ou remplacer la réflexion de l’homme …
L’IA pourra réaliser de nombreuses activités cognitives : la représentation de connaissances, la modélisation des raisonnements, la gestion de l’incertitude, la satisfaction de contraintes, la planification, la recherche heuristique, le traitement automatique des langues, reconnaissance des formes, la modélisation de processus cognitifs, la gestion robotique…
Elle pourra être inspiratrice avec la table tactile de Mines Paris Tech « pluggée » sur internet et qui permet d’établir des nuages de mots à partir d’un mot-clé et ainsi faire des associations d’idées. Utiles pour les artistes, les designers, les architectes en mal d’inspiration ou souhaitant innover. L’IA c’est aussi la possibilité d’appréhender des visions plus larges, plus complexes : ‘Institut des systèmes complexes à Paris, il y a quelques années a mis au point Gargantext[18] une base de données qui permet, par exemple, de restituer l’ensemble des champs des sciences (philologie), leurs disciplines et leurs liens en vision dynamique 3D. Les ingénieurs, les concepteurs, les directeurs de grands projets peuvent en deviner les applications pratiques : avoir une vue d’ensemble et des interactions entre différents éléments d’un même projet.
Elle permettrait aussi d’être plus exhaustif et pertinent soutenue par les Big Data. Les activités de diagnostic des avocats grâce au legaltech comme des médecins seraient alors « doublés », « plus corrects »[19]. Les médecins pourraient consacrer plus de temps à l‘empathie vis-à-vis de leurs patients. Aujourd’hui les tribunaux américains ont recours aux algorithmes de calcul de risque et les cabinets américains[20] utilisent l’IA pour des revues documentaires et des due diligence[21] . On imagine l’intérêt si une IA en plus d’être exhaustive serait capable d’extraire les arguments de nombreuses plaidoiries en fonction de l’issue des verdicts … Le travail d’un avocat en serait stimulé, comme celui du médecin face à un cas complexe qui pourrait accéder à des cas similaires guéris et de leurs traitements, sans compter les informations complémentaires plus qualitatives (suivi de médecine douce, nutrition…). Et c’est déjà le cas en médecine via des assistants personnels des applications de pré-diagnostic et de suivi clinique : comme Max d’Olivier Thuillart, co-fondateur de BOTdesign. Il reste à imaginer une IA pouvant varier les modes de diagnostic et les outils assurant la pertinence autant que l’ouverture et le questionnement.
L’intelligence artificielle peut donc aussi être une assistante. Bien sûr on pense tout de suite aux assistants vocaux. Mais ce n’est pas vraiment de l’intelligence artificielle : elle n’existe pas selon le Dr Luc Julia, patron du laboratoire de l’Intelligence Artificielle de Samsung et co-créateur de Siri vendu à Apple. Elles n’ont pas de QI et possèdent seulement une reconnaissance vocale dans un champ sémantique donné. Même pour la reconnaissance d’images qui serait le domaine le plus avancé dans l’IA, une IA ne peut reconnaître une image que si elle est injectée dans sa mémoire. L’assistanat vocal concernerait 1 milliard d’individus et une centaine de millions de centres vocaux. Et ce que l’on sait maintenant grâce au débat sur les données personnelles, c’est que grâce à l’évolution de tous ces usages technologiques les données sont captées, triées pour constituer de formidables base de données qui vont permettre de créer ces futures IA. Pour l’heure, l’utilisation des assistants vocaux est freinée par la crainte d’être écouté notamment[22] et son utilisation serait circonscrite essentiellement à lancer une musique (1), consulter la météo (2) et poser une question (3) selon une étude parue en janvier 2019 aux USA[23]. Et nous n’utilisons toujours pas systématiquement la dictée vocale pour l’écriture de sms et document textes sur ordinateur tout comme l’ouverture des applications et leur utilisation pourtant « à porter d’usage ». Cependant des applications micro dans des lunettes pour communiquer (Huawei)[24] pourraient changer la donne : la voix outil transactionnel naturel, cherche probablement un support allant de soi.
Ses apports peuvent être donc multiples et pas des moindres au vue des préoccupations de notre société :
-Soulagement de la charge mentale, contribution à l’évitement des burn-out, pénibilité, sollicitation de la vigilance dans un environnement toujours plus dense et exigeant : l’amélioration de la qualité de vie au travail pourrait encore avoir un sens.
– traitement d’une grosse masse d’informations (exhaustivité) combinée à des analyses de données qualitatives (challenge des diagnostics)
– Gain de temps et de pertinence si elle est bien conçue. En cela tous les travaux sur les images et modèles mentaux, les activités cognitives supérieures et la chance d’une observation multi-angles grâce à la fois à la psychologie et aux neurosciences notamment ne sont pas négligeables.
L’intelligence artificielle pourrait-elle remplacer l’homme ? C’est à lui de le décider. Les craintes sont vives et pourtant la réponse semble être non. Au contraire comme le dit le Futuriste Jean-Christophe Bonis fondateur d’Oxymore[25] en robotique[26], « la robotisation massive des usines ne serait-elle pas une manière de remettre les robots et les hommes à leur juste place? » l’IA peut soulager l’homme, l’aider à poursuivre son développement en le protégeant mais cela doit se faire de façon pertinente : « Si on remplace un humain sur une tâche, si on met une IA au contact direct du public, il faut que cela ait un sens. Il ne s’agit pas d’automatiser pour automatiser. »
Qui n’aimerait pas être secouru dans un endroit inaccessible pour l’homme, qui n’aimerait pas éviter de prendre des risques dans une centrale ravagée par un tremblement de terre ou un Tsunami ? Ou plus prosaïquement qui n’aimerait pas gagner du temps dans son travail pour avoir moins de pénibilité ou plus de loisirs ? Il reste à placer le curseur et à mettre en place les garde-fous. Rappelons que jusqu’ici le progrès a été bénéfique à l’homme, sa population n’a jamais autant augmenté que ces dernières décennies.
4 Quelle veille existe, Comment réfléchir à sa mise en place et s’y préparer?
Selon le rapport Villani (2018), on constate aujourd’hui l’Importance des communautés IA qui ont le lead et peu d’implication des gros acteurs industriels dans le financement surtout public. Du reste il recommande de prendre une part active dans la normalisation des systèmes IA pour les tests et les données à la fois pour assurer l’interopérabilité des systèmes, leur protection et participer au lead tiré par la Chine et les USA. D’ailleurs dans les énergies, les USA et Obama avaient compris l’enjeu avec les smartgrid.
Evidemment les grandes entreprises ont la force des moyens et à disposition des données précieuses (particuliers et techniques à protéger), des logiciels de traitement, voire même déjà des cartographies de leur processus existants pouvant être pris en charge par l’IA. Néanmoins comme le reconnait le PDG d’Allianz, Jacques Richier, elles manquent d’agilité. Ceux sont les petites structures qui développeront certainement des applications comme lors de la digitalisation.
En complément une veille selon les usages traditionnels par secteur pourra s’effectuer. Il reste comment réfléchir à son inclusion ?
La France est reconnue dans le domaine pour ses formations et la recherche scientifique mais doit s’accompagner de mécanismes efficaces de transfert des technologies des laboratoires vers les entreprises. L’Industrialisation est possible à courte échéance, mais il manque de compétences pour l’intégration et les tests, les problèmes juridiques du traitement des données persistent [27] et de la protection des techniques dans leur mise à disposition.
Nos recommandations sont bien sûr de partir de l’existant. Ayez d’abord un état des lieux des techniques déjà mises en place, puis établissez ou enrichissez une vision en termes de processus cognitifs de votre organisation au niveau individuel et de groupe mais aussi de l’ensemble de vos activités. Cartographiez l’organisation en termes de tâches, activités, enchaînements, démarches et interconnexions. Ensuite identifiez les activités valorisantes pour votre organisation dans lesquelles vous pouvez ou vous aimeriez gagner du temps et permettre à vos experts, analystes, consultants d’être plus exhaustifs et plus pointus ou pertinents. En parallèle faites de la veille et identifiez des experts en Intelligence Artificielle pouvant estimer la faisabilité et les coûts afin d’estimer sa rentabilité potentielle.
Comment s’y préparer ?
La mise en place de l’IA nécessite une réflexion stratégique, sociale et économique autant que légale. Elle requiert aussi une analyse sur les usages des professionnels à la fois dans les idées d’application, la conception et bien sûr sur les évolutions possibles mais aussi sur le matériel et les réseaux. Aujourd’hui les grandes plateformes ont un avantage pour utiliser l’IA et proposer plus de services au détriment des autres acteurs économiques qui pourront peut-être à leur tour profiter de l’IA en se fédérant et ceci même dans les territoires.
Comme le préconise le rapport Villani, du point vue juridique et règlementaire la législation devra certainement évoluer sur la responsabilité du fait des choses (Loi du 5 juillet 1985 relative aux « victimes d’un accident de la circulation ») et la responsabilité des produits défectueux. L’IA posera des questions de responsabilités mais aussi sur la protection intellectuelle liées aux nouvelles activités et à leur création.
Du point de vue des compétences selon les applications choisies les organisations continueront à mener leurs activités (voire de nouvelles) en étant plus exhaustifs, plus pertinentes, plus pointues. Les activités ainsi « doublées » permettront à ceux qui les mènent de traiter plus de dossiers, mais ils seront amener à développer plus de tâches de supervisions. A travailler plus de choix stratégiques. Et avant tout à participer à des projections et à sa conception en amont.
Ces quelques éléments avancés sur la réflexion préparatoire : il reste l’organisation et les équipes. Les organisations agiles ou qui ont évolué vers moins de hiérarchie en squad (membre interchangeable sans manager mais avec un animateur) comme chez Allianz seront peut être mieux préparées afin de définir et mettre en place une IA de façon pertinente grâce au croisement des regards des différents membres et leur esprit d’équipe. L’atout de la France est la place qu’elle offre aux sciences humaines pour l’intégration de l’intelligence artificielle selon Monica Loup, Global executive coach chez GeoCoaching, ce qui permet aux développeurs venant des sciences dures d’y trouver des synergies et une diversité qui permettent d’aller plus loin comme le dit le proverbe africain[28].
La digitalisation permettra de les initier (pour de meilleure projection lors de la conception) et de faire adopter l’usage de l’intelligence artificielle. Mais avant cela il faut adapter les compétences nécessaires à cette nouvelle vague d’automatisation : selon une étude de MacKinsey Institute[29][30] les compétences les plus attendues dans 20 ans seraient : « la demande en compétences technologiques (i.e. digital, programmation, IT) qui augmenterait de 55%, tandis que celle en compétences sociales et émotionnelles (i.e. leadership, management, entrepreneuriat) augmenterait de 24% et en compétences hautement cognitives (i.e. créativité, traitement d’informations complexes) de 8% d’ici à 2030. Sans surprise, la demande en compétences faiblement cognitives chuterait de 15% et en compétences physiques et manuelles de 14% sur la même période. » en des termes plus concrets : des emplois verront le jour dans la création assistée, la médiation dans l’interopérabilité de différents systèmes, et bien sûr la maintenance. Des postes aussi apparaîtront comme des gestionnaires de connaissances et de données. designers de personnalité d’intelligence artificielle, designers spécialisés dans la mise à disposition intuitive des données, gestionnaires des plateformes de distribution des services, etc. L’offre de développement de compétences tout au long de la vie va être repensée et pourra non seulement préparer à l’IA mais aussi peut-être en profiter. En revanche il faut stimuler l’interdisciplinarité et les coopérations publics/privés. (Villani, 2018)
Conclusion
L’homme dispose d’une centaine de milliards de neurones, et les synapses (zones de connexion) sont en moyenne de 10 000 par neurone. C’est cela qui assure sa « performance » à ce jour, alors que l’intelligence artificielle avance lentement. Nous avons encore des incertitudes sur le fonctionnement du cerveau. Et donc il est difficile de l’imiter. Pour l’instant ceux sont encore les Big Data qui se développent : traitement de masse importante d’informations et leur méthodologie d’analyse.
Nous sommes à un point de catalysation : convergence des compétences de haut niveau dans différents champs scientifiques, des moyens et des matériaux privés et publics et la volonté d’innover : nous vivons le Big-Bang de l’intelligence Artificielle. Il faut être vigilant et continuer à susciter des comportements éthiques : comme le souligne Jeff Bezos, en disant qu’il y a trop de clients qui ne rentrent pas en contact avec Amazon, il faut prendre garde à la dérelationnalisation humaine. Il faut préserver ce supplément d’âme bien français, cette relation à l’autre. D’autant plus que « l’IA appelle la confiance au-delà de la technique ». Nous vivons selon Laurent Alexandre la révolution du capitalisme cognitif. Nous y sommes préparés car nous sommes des Hommes cognitifs (Weil-Barais, 2011)[iv]. Notre cerveau aurait évolué pour se rapprocher – du moins en termes de connexions – du cerveau idéal[v] ce qui est loin encore de l’intelligence artificielle. Finalement les véritables enjeux sont peut-être l’immersion dans les NTIC et l’infobésité auquel l’homme cognitif est soumis, certes il a une forte capacité à s’adapter – notre évolution nous le démontre tous les jours – mais il faut prendre garde à préserver l’écologie de son esprit.
Docteur Catherine Pouget
Université Paris-Dauphine
Catherine Pouget est Présidente de Spinova, catalyseur d’innovation. Elle mène ses activités auprès des chefs de projet pour développer leurs compétences en contrôle cognitif et accompagne les dirigeants dans leurs nouveaux projets stratégiques d’activités et d’organisation et notamment ceux liés à l’IA.
Spinova est membre de France Innovation, le pôle de compétitivité Eurobiomed-CBS et Biomed Alliance.
Catherine a contribué tout récemment, suite au rapport Villani, à la réflexion sur la création d’un diplôme en IA à l’Upssitech de Toulouse qui fait partie de l’un des quatre pôles d’excellence français en Intelligence artificiel.
Catherine Pouget est titulaire d’un Doctorat en Sciences de gestion & cognitives de l’Université Paris-Dauphine en partenariat avec le Collège de France, d’un DESS en Stratégie et Contrôle, d’un Programme d’affaires internationales à l’ESCP-EAP. Elle a 20 ans d’expérience en management de projet au niveau européen et international dans le conseil et les grands groupes. Elle est aussi membre de la Ligue des Optimistes et secrétaire générale de la 2F2ICE pour fédérer les énergies autour des porteurs d’idée en amorçage.
e-mail : contact@spinova.fr
[1] Ce serait Alan Turing qui se serait posé le premier la question de la possibilité que la machine puisse penser comme un être humain.
[2] Ce que l’on dit moins c’est qu’il y a une véritable bataille entre les différents acteurs qui forment déjà les cerveaux de l’IA : Education (ENS), Informatique (Université de Toulouse), Neurosciences (Université de Lyon), Psychologie (Université Paris-Descartes), Cognition pour l’entreprise (Université de Lille)…
[3] Qui travailla avec Marvin Minsky au MIT.
[4] https://www.humanbrainproject.eu/en/ A l’origine lors de son lancement 2013 devait arriver à échéance en 2020. Il était la réponse au projet Initiative Brain des américains lancé par Obama : https://www.braininitiative.nih.gov/
Le projet américain qui continue à cartographier le fonctionnement du cerveau pour mieux comprendre notamment les maladies de Parkinson et Alzheimer.
[5] Au siècle dernier l’étude du cerveau portait sur son aspect (biologie) et son « comportement » (psychologie) et ses « produits » (informatique). Grâce aux avancées de la cognition et des techniques neuroscientifiques, la conscience, notre double peut dorénavant faire l’objet d’étude (Ricoeur, 1998)
[6] https://www.futura-sciences.com/tech/actualites/robotique-sophia-robot-veut-detruire-humanite-62142/
[7] Hanson Robotics fondé en 2003 qui développe Sophia a pour cible les loisirs, puis la santé et l’éducation et notamment les enfants
[8] Lors de sa présentation au SXSW en mars 2016 , Hanson lui a demandé si elle voulait détruire l’Homme en lui précisant qu’il fallait qu’elle réponde « non », elle a répondu qu’elle le détruirait… coup marketing, erreur algorithmique ou malheureux imprévu ?
[9] http://europa.eu/rapid/press-release_IP-18-1381_fr.htm
[10] détection et suivi des autres usagers, contextualisation, détection signalétique, reconstitution et compréhension de scène, localisation, processus de décision complexe, modification du mode d’interaction avec l’usager, autodiagnostic etc.).
[11] https://www.lemagit.fr/etude/IA-RH-LOreal-lance-un-chatbot-recruteur-parce-que-les-candidats-le-valent-bien
[12] https://www.orcam.com/fr/media/delphine-nabeth-dorcam-presente-le-dispositif-myeye-au-big-bang-eco-du-figaro/
[13] https://www.primageproject.eu/project/
[14] https://www.biomedicalalliance.com/medexprim-des-outils-pour-creer-sa-base-de-donnees-dimageries-medicales/
[15] https://www.telegraph.co.uk/technology/2019/04/26/amazons-warehouse-computer-system-tracked-fired-hundreds-workers/
[16] Nordic Urban Living Labs , La voiture autonome aérienne de Boeing, Shangaï ville de l’IA, Ecoreseau.fr, Mars 2019
[17] https://technode.com/2019/01/17/microsoft-ai-iot-lab-shanghai/
[18] https://iscpif.fr/projects/gargantext/
[19] https://www.natlawreview.com/article/artificial-intelligence-and-big-data-will-revolutionize-law-part-two-video
[20] https://www.biicl.org/event/1280: Artificial Intelligence, Big Data and the Rule of Law , 9th October 2017, British Institute of International and Comparative Law
[21] Il faut faire la distinction entre un système juridique qui se base sur le principe du précédent (anglo-saxon) et un système codifié (français, et celui de la Louisiane aux Etats Unis). L’analyse comprend des capacités différentes dans les deux cas: pourcentage de jugements pour ou contre, ou bien pertinence des précédents cités dans les jugements.
[22] https://www.lesnumeriques.com/assistant-domotique/assistants-vocaux-41-pourcent-utilisateurs-mefiants-selon-microsoft-n86403.html
[23] https://voicebot.ai/2019/03/20/voice-purchasing-rose-in-2018-among-us-smart-speaker-owners-voice-assisted-product-search-is-even-bigger/: voicebot.ai, Voice Purchasing Rose in 2018 Among US Smart Speaker Owners, Voice-Assisted Product Search is Even Bigger , Bret Kinsella, on March 20, 2019 at 2:11 pm
[24] http://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/huawei-presente-des-lunettes-connectees-pour-communiquer-20190326
[25] http://www.oxymore-inc.com/fr/
[26] SIDO 2019, Lyon.
[27] Les données de santé Afas, 2015
[28] « Seul on va plus vite, ensemble on va plus loin »
[29] le cabinet de conseil McKinsey estime que 60 % des emplois actuels comprennent 30 % d’activités
automatisables à une échéance de 20 à 40 ans (Villani, 2018).
[30] https://www.thinkwithgoogle.com/intl/fr-fr/tendances/vision/mckinsey-vivatech-2018-quels-besoins-en-competences-dici-a-2030/
[i] Villani Cédric, Rapport de Synthèse France Intelligence Artificielle
[ii] https://www.wsj.com/amp/articles/how-the-robot-revolution-could-create-21-million-jobs-1510758001
[iii] Bouzou Nicolas (2017), Le travail est l’avenir de l’homme, Edition de l’O
[iv] Weil- Barais (2011), L’homme Cognitif, Puf, Paris.
[v] Dmitri Krioukov & al. (2015), Navigable networks as Nash equilibria of navigation games, Nature Communications volume 6, Art nbr: 7651 :https://www.nature.com/articles/ncomms8651