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LE CONTROLE FACE A LA CRISE

Avant de discuter du contrôle, il faut s’interroger sur la crise.

Avant de discuter du contrôle, il faut s’interroger sur la crise. Parle-t-on de celle financière ou de ses conséquences ? Dans une crise aux ramifications multiples c’est un contrôle multiforme qui est appelé, qui permettra de répondre à l’agenda des politiciens, de la vie économique et des citoyens : un contrôle responsable sans annihiler les pistes d’innovation. En tout état de cause la crise serait l’occasion d’observer l’innovation. C’est l’objet de cette communication qui au travers d’une étude empirique au sein de l’incubateur NOVANCIA d’HEC et de grandes organisations a permis d’illustrer un contrôle ou plutôt des contrôles qui favorisent l’émergence des idées d’innovation. Mots-clés : Crise, transition, contrôle, système, innovation.

Les crises sont l’occasion de rencontres inter-paradigme (Boisot, 2002) comme de contrôles rares en temps d’euphorie. La crise a eu lieu malgré des dispositifs qui auraient dû permettre de l’éviter d’autant plus que certains l’avaient prévu (Rubini et Mihn, 2010). Dysfonctionnement ou lacune ? La tentation est grande de ne pas regarder en arrière et d’ajouter de nouveaux contrôles tels que des organismes sectoriels alors que certains existent déjà : politiques, alimentaires, médicaux, et de loisirs mais aussi bancaires. Avant de prendre de nouvelles dispositions, il faut comprendre la crise (est-elle financière, monétaire, économique, géopolitique et/ou sociale ?) et comprendre pourquoi les dispositifs en place n’ont pas fonctionné dans une visée d’apprentissage et de méta-contrôle. En tout état de cause la mondialisation renouvelée par les N.T.I.C.n’a pas comblé l’espoir de croissance et de régulation.

Sans exhaustivité, entre libre-marché et marché organisé, les théories économiques sont classables en trois courants afin d’étudier la crise. Les keynésiens et postkeynésiens qui proposent de relancer la croissance par des investissements publics. Les régulationistes qui soulignent la responsabilité du capitalisme dans la crise et les autrichiens libéraux qui préconisent des restrictions budgétaires. Les néo-keynésiens préconisent une solution mixte avec plus de régulation : contrôle des dépenses en ajustant la fiscalité (Cohen, 2012), avec inflation selon P. Krugman et le soutien à l’innovation (Stiglitz, 2002). G. Mestrallet comme son prédécesseur encourage le soutien aux investissements. C. Saint Etienne propose un nouveau contrat social à l’instar d’un F. Perroux .Une gouvernance mondiale s’imposerait pour une croissance concertée. Dans tous les cas, le contrôle joue un rôle soit dans la réduction des dépenses, soit dans la régulation sectorielle des pratiques ou bien dans la répartition de la croissance mondiale grâce à un Etat-monde émergent souhaité régulateur (Stiglitz, 2002, p.55).

Notre société fait face à des défis économiques et sociaux, mondiaux et géopolitiques alors que d’autres sont en plein essor. Les entreprises face à de nombreuses incertitudes et à la concurrence, des contraintes fiscales jugées trop lourdes et des dérives : les fraudes émaillent l’actualité et s’adaptant aux pratiques de plus en plus sophistiquées révèlent l’ambigüité du rôle des systèmes de comptable (Lefranc, 2009). Nous serions à une étape de transition, d’un ancien modèle technologique et de pensée à un nouveau. Cette mutation, à la fin d’un cycle long, génère des résistances et fera émerger un nouvel « ordre productif » qui permettra une nouvelle vague d’innovations que la crise paradoxalement permet d’étudier (Osier, 2003, p. 93-115). Dans ce contexte la réduction des dépenses risquent d’aller à contre-courant des investissements parfois nécessaires, l’accroissement de la régulation risque d’étouffer les initiatives et la normalisation de la croissance mondiale est questionnée, ses voies étant singulières.

Dans ce contexte, le papier interroge sur les dispositifs de contrôles à mettre en place pour favoriser l’émergence des idées d’innovation au travers d’une étude sur les créations d’entreprise ou d’activité précédée d’une revue de la littérature sur le contrôle et son évolution.

CADRE THEORIQUE

De nombreux auteurs argumentent le temps de l’interdisciplinarité en contrôle (Bollecker et Azan, 2009) et la difficulté de trouver un cadre de référence pour de nouveaux objets comme les services (Meyssonier, 2012).

La revue de littérature non- exhaustive porte sur le contrôle, plus exactement sur le management control, et sur le contrôle de crise qui mène à proposer une approche cognitive du contrôle fonction de l’objet contrôlé et de son environnement.

Les RACINES DU CONTROLE

Le management control connaît trois courants : la comptabilité de gestion, la cybernétique et les sciences sociales (Schwartz, 2002).

La comptabilité de gestion a apporté de nombreuses méthodes de calcul de coûts, de marges et de résultats afin de suivre et piloter les activités (marge sur coût variable de Harris, imputation rationnelle de Gantt, coût complet) et dans les années 1980 les tableaux de bord de Kaplan et Norton. Ces méthodes permettent aux managers de s’assurer de la rentabilité de leurs produits et de leurs activités et d’effectuer les changements nécessaires pour la maintenir ou l’accroître. Ce courant a été marqué par la métaphore mécaniste. et informatique puis par la théorie de la décision et celle institutionnelle

La cybernétique (Wiener, 1948) a marqué la théorie du contrôle en ce qu’elle a proposé un concept fondamental, la régulation, autorisant la délégation en fonction d’un objectif de résultat. Elle était possible grâce au concept de la « boîte noire ». Même si un ensemble d’activités et de processus n’est pas connu (« boîte noire »), son résultat est contrôlable en posant qu’un ensemble de ressources génèrent, au travers de cette boîte, un certain résultat de façon stable.

Le courant des sciences sociales a mis en avant un contrôle d’influence en soulignant toute la difficulté d’un contrôle soumis aux différentes interactions sociales dont Weber sera l’un des précurseurs en sociologie. Des contemporains préférant parler de leviers (Simons, 1995), de maîtrise (Bouquin, 2010) ou d’influence dans la continuité d’Anthony.

Ces trois courants se complètent plus qu’ils se concurrencent et ont amené le contrôle à se déployer mais aussi à être critiqué et à évoluer.

lES disparités du controle

Des difficultés persistent à établir un ensemble théorique cohérent tenant compte en pratique de l’ambigüité et du flou comme système de contrôle. Les tentatives d’ouverture transdisciplinaire sont freinées par des travaux parfois difficilement transposables (Bollecker et Azan, 2009, p. 78) concomitamment à des initiatives pour le repenser (Bouquin et Fiol, 2007).

Le contrôle se confond avec ses méthodes et ses outils. Mais il ne se réduit pas à cela. La fonction contrôle de gestion dans les organisations l’illustre par ses divers idéaux-types (Lambert et Sponem, 2009) : discrète, garde-fou, omnipotente et business partner.

Les outils mobilisés apparaissent parfois inadaptés. En l’absence d’étalon, notamment en stratégie ou en innovation comment contrôler ? Des dispositifs sont quand même mis en place illustrant leur aspect paradoxal et leur objectif de maitriser les tensions pour la pérennité de l’organisation (Dupuy, 2009). Les systèmes d’information peinent à satisfaire les besoins en information qualitative pour préparer le futur (Lorino, 2009). Le triptyque délai, coût, qualité s’avère insuffisant dans les projets d’innovation que les procédures ralentissent (Deroy, 2008). Une gestion de la connaissance des projets permettraient d’éviter des erreurs et de favoriser leur apprentissage.

Des études soulignent le rôle d’enquête complexe du contrôle au-delà des chiffres (Lorino, 2009). A défaut d’un cadre des leviers sont proposés qui sont des paradoxes parfois : l’hypocrisie et la déraison (Chauvey, 2010).

Le contrôle dans sa veine socio-économique s’est répandu dans les services (Meysonnier, 2012) et dans de nombreux secteurs y compris les professions libérales en s’adaptant et rappelant les aspects techniques et de leadership dont il faut tenir compte (Capelletti et Khouatra, 2009). Le management par les activités source de création de valeur rappelle surtout que réduire les coûts et améliorer la qualité c’est une combinaison de personnes, de technologies et de matières (Cauvin et Neunreuther, 2009) d’où un contrôle social en fonction des individus et des groupes impliqués.

Ces différents éléments interagissent et forment un ensemble. Ils appellent un contrôle selon la nature des éléments contrôlés qui différencie les tâches, les activités, les processus, les acteurs et l’organisation : la vigilance individuelle, la mise sous contrôle en binôme; la régulation en groupe (Pouget, 2012).

Un ensemble s’insère dans un environnement qui peut alors connaître des interactions avec d’autres systèmes. L’enchâssement des systèmes explique les problèmes entre contrôle organisationnel, régulation sectorielle et réglementaire: Il faut s’assurer, sinon de leur cohérence, tout du moins qu’ils aillent dans le sens souhaité et non à contre-courant voire destructeur.

Face à une telle imbrication, la vigilance est centrale et un contrôle systémique possible s’il est mis à l’épreuve régulièrement. D’où l’idée d’une sorte de métacontrôle1 qui permettrait au contrôle d’évoluer et de s’adapter à l’instar d’une organisation grâce à la gestion des connaissances dans une visée d’apprentissage (Pesqueux et Ferrary, 2006).

A l’opposé, des chercheurs notamment en création d’entreprise proposent des approches pragmatiques qui consisteraient à ne contrôler que ce qu’ l’on peut contrôler (Sarasvathy, 2009).

Quel contrôle envisager pour favoriser l’innovation en temps de crise ?

 

LE CONTROLE DE CRISE

La crise serait issue du décalage entre profit attendu et réalisé. Le contrôle doit être rigoureux pour maintenir ou se défaire de l’ancien appareil productif et prospectif pour préparer l’avenir. Au niveau de l’organisation, les dispositifs de contrôle de gestion sont capables de mettre à jour ce type de décalage grâce au contrôle budgétaire et de réguler les pratiques au travers de dispositifs de normalisation. Pour ce qui est de l’avenir en quoi le contrôle peut-il réduire les coûts tout en favorisant l’innovation ?

Il est plus légitime de contrôler au moment d’une crise et de réduire les coûts mais le manque d’anticipation peut alors provoquer certaines rigidités, avec des contrôles mécanistes et outillés parfois inadaptés (Lenfle, 2004). Aussi le contrôle doit être modulaire fonction de l’objet contrôlé. L’autocontrôle – favorisé dans le contrôle à distance (Dambrin, 2005) – facilite l’adaptation en laissant des marges de manœuvre.

La crise incite à agir rapidement, mais parfois le temps est nécessaire pour apporter des correctifs ou se préparer à la réalité à venir. D’autant plus que la confiance et la communication manquent pour favoriser l’apprentissage organisationnel et la capacité à réagir (Chanut et al., 2012, p.116). Les organisations telles que les incubateurs, les sociétés d’essaimage ou les réseaux permettent de faire face à un environnement turbulent. Ce sont les différents aspects du contrôle qui le permettent : formel, informel ; interne et externe (Bouquin, 2010, p.83). Le contrôle permet d’identifier les tensions qui s’amoindriront avec le temps et aide à gérer les paradoxes par essence insurmontables. Il faut donc un contrôle ambidextre (Soulerot, 2008).

L’enchâssement des contrôles doit être à la fois restrictif et créateur. La non prise en compte des interactions entre contrôle est préjudiciable ne serait-ce qu’au niveau d’un projet (Méric, 2010, p.119). En cela réside toute la difficulté : la vigilance de chacun peut l’atténuer et une approche systémique l’appréhender (Morin et Le Moigne, 1999).

Suite à cette revue de littérature un modèle de contrôle (Figure 1Le contrôle cognitif) est proposé tenant compte du contexte de transition. Le contrôle: modulaire, interactif et pertinent tiennent compte de la nature de l’objet contrôlé (Bouquin, 2005), des ses interactions sociales et d’une approche systémique.

ETUDE EMPIRIQUE

Le modèle proposé a été élaboré et testé sur des cas de création d’entreprise et d’activité en tenant compte de la spécificité de l’objet étudié, de la nature de ses éléments et de l’ensemble qu’ils constituent : le contrôle de création se formalisant par un projet mettant en œuvre des innovations de produits ou de services dans un certain environnement.

METHODOLOGIE

La recherche compréhensive et interprétative a consisté à saisir autant que possible l’objet étudié.

Il est délicat d’observer un projet (Méric, 2011, p.110) a fortiori une idée jusqu’à l’innovation. L’idée par essence individuelle est observable via sa formulation verbale et scripturale ainsi que sa formalisation au travers d’un projet.

Une attention particulière a été portée à la méthodologie afin de saisir in vivo le projet qui pose une problématique épistémologique. Il est difficile de l’observer de manière exhaustive et les méthodes consistent à reccueillir des récits a posteriori. Leur inconvénient est de reconstruire la réalité (Boudes, 2006) ce qui ne permet de retranscrire ce qui se passe durant un projet et de ce fait de discuter d’un contrôle adapté. Que ce soit en création d’entreprise ou en grandes organisations, les considérations de temps, d’espace et d’individus rendent difficile une observation complète. D’autant plus que les concepts de création d’entreprise et de projet sont encore flous (Boutinet et Raveleau, 2011) et les modèles peu adaptés. Comment être au plus près de son objet sans le dénaturer et pouvoir y avoir un large accès ? Cela a questionné le positionnement de recherche à adopter.

Une démarche anthropologique d’observations, abductive comportant plusieurs aller et retour entre la théorie et le terrain a été adoptée. Ce qui a permis d’enrichir le cadre conceptuel au fur et à mesure des observations et de leur analyse tout en préservant un certain recul. Les cas de créations d’entreprise ont été étudiés in vivo au sein L’incubateur, organisation apprenante, offre la possibilité d’observer in vivo les projets. Les projets de création d’activité ont été étudiés via les récits des créateurs. Ils ont permis de procéder à une analyse assertive et/ou contradictoire de l’objet étudié et de son contrôle.

L’incubateur Novancia (ex-Advancia créée en 2005 à l’instigation de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris et de l’école d’entrepreneuriat éponyme a été choisi afin d’observer de futurs ou jeunes créateurs d’entreprise. Il a aussi donné la possibilité d’assurer la pertinence et l’accès à des données diverses et des cas multiples. La triangulation des données a consisté à étoffer et à mieux « enraciner » dans les faits les données recueillies selon la Grounded Theory (Glaser et Strauss, 1967). Elle comprend des bandes-son de créateurs en situation d’accompagnement (20 h), des observations, des entretiens (50) avec tous les acteurs de la création internes et externes et des documents (notes de suivi des accompagnants, le book des créateurs) avec des documents institutionnels. Les données qui ont servi aux analyses ont été recueillies de 2006 à 2008. Et en particulier sur une promotion de sept créateurs qui sont restés huit mois au sein de l’incubateur.

ETUDE DE CAS

Pour traiter et restituer les données, la méthode de l’étude de cas (Eisenhardt, 1989) a été choisie afin de décrire et d’analyser finement le projet et son contrôle. Les cas ont été restitués sous forme de fiction (Geertz, 1990). Les histoires des cas (Loufa et Perret, 2008) permettent de faire valoir certains aspects et d’en tirer quelques enseignements pas tout à fait prédictifs mais illustratifs. Les cas ont été choisis avec le directeur de l’incubateur au regard de leur diversité et de leurs promesses de potentialité.

Les sept cas choisis font partie de la seconde promotion de l’incubateur de quatorze candidats. Quatre étaient dans les nouvelles technologies de la communication et en majorité dans les services à la personne ou aux entreprises : des produits bio ou des plantes grimpantes sans terreau. La promotion regroupait à la fois des étudiants (deux) et des professionnels en finance, conseil, commerce dont trois à l’international. Deux n’avaient pas encore monté leur structure : le premier, Temp, porte sur une idée d’affaires dans le recrutement intérimaire de profils de hautes compétences. Le second, Ubi, sur la connaissance d’une opportunité : une innovation technologique à mettre au point et diffuser. Le troisième et le quatrième concernent un projet déjà réalisé par deux associés, dont le premier a monté la structure : le troisième, Coll, porte sur la diffusion d’un logiciel collaboratif créé par un polytechnicien dont l’associé est responsable du développement. Le quatrième, Flash est un projet de commercialisation d’application client rich facilitant la navigation bureautique et internet ainsi que de formation au langage informatique américain Flash dont l’associé a été le premier certifié en France. Le dernier Desin abandonnera son projet de décoration modulaire pour s’associer à un de ses amis. Le septième Tour’Alert est un cas reposant sur l’idée d’un service de veille et de diffusion d’informations sur les « risques pays » à destination des voyageurs à l’étranger mais aussi d’information des ressortissants à prendre en charge en cas de crise auprès du Ministère des Affaires Etrangères.

Les cas assertifs et/ou contradictoires sont au nombre de treize auprès de grandes organisations : l’e-book chez Flammarion, les Kit-financiers chez BNPPAM, une start-up, BNP Assurance, une activité de microcrédit, un projet d’ingénierie chez Vinci et un projet culturel, le Puy du Fou.

L’ebook est comparable à un rubicube. En fonction de chaque interlocuteur, sa présentation doit être adaptée à son langage, à ses modèles et à ses techniques, tout en gardant les mêmes racines. Cette métaphore permet de comprendre qu’il y a plusieurs visions (commerciales, stratégiques) d’un même projet singulier qui une fois élaboré étayent le projet qui peut être formalisé au travers d’un business plan cristallisation de la démarche.

La vente en kit des services financiers à l’étranger a été étudiée auprès du responsable de BNPPAM. L’idée de développement de cette activité a émergé de l’association d’un profil professionnel et du souhait d’un changement de stratégie d’un client : c’est grâce à l’attention du responsable que le projet a vu le jour. L’approche rationnelle n’est pas toujours adéquate parce qu’un client n’est pas toujours capable de formuler son besoin. Il faut être proche du marché et savoir capter les « signaux faibles ».

Le cas d’un fonds de start-up illustre que l’organisation d’une grande entreprise peut faire échouer des projets d’innovation par manque de réactivité dans ses délais et ses procédures, mais elle qu’offre des possibilités de financement et de stratégie voire de réflexion pluridisciplinaire et de pilotage via des comités exécutifs et des « sponsors » dont ne disposent pas les petites organisations.

Dans le cas de BNP Assurance c’est une évolution réglementaire à l’origine de la création d’activité. Le groupe offre un cadre stratégique, un dispositif de pilotage avec des critères à respecter, ce qui nécessite de savoir « où l’on veut aller ». Il permet aussi un partage des connaissances du marché en France et à l’étranger sur lequel peuvent s’appuyer les équipes commerciales, mais il apporte aussi un soutien financier au démarrage : les frais généraux doivent être réduits mais pas nécessairement couverts dans un premier temps. Le produit net bancaire est en revanche retenu comme critère, dès la première année. Par la suite il permet des stratégies de prix bas pour pénétrer des marchés.

Le projet de microcrédit est passé d’un modèle ONG à un modèle financier au cours « d’un processus itératif » long. Le projet partagé (les différents interlocuteurs métiers, pays, associations, personnalités de la microfinance et financeurs…) a pu s’appuyer sur des compétences internes et un tuteur. Le cadre requiert pour le créateur d’avoir un « plan de vol ». Le financement a été défini par le responsable financier avec des critères précis de crédit. Le temps de la validation (obtenir sponsors et soutiens des responsables métiers) et de la mise en œuvre, ont retardé le projet alors qu’il devançait les concurrents.

Le projet d’ingénierie chez Vinci a consisté à passer d’une offre d’électricité, à celle de la fibre optique puis à une offre intégrée reposant sur l’innovation technologique du le câble écranté qui reçu un accueil favorable de leurs clients notamment, la Société Générale. Le P.D.G. profita des compétences du groupe pour les projets transversaux, de son réseau et de la fonction support juridique pour le montage des structures nécessaires à cette nouvelle activité. Il confie qu’une personne lui a fait confiance, à qui il rapportait les résultats de ses activités consécutives et, avec qui, il discutait des perspectives stratégiques de ses projets ce qui lui a permis de développer ces activités, son autonomie s’accompagnant d’un « reporting » fort.

La création du Puy du Fou débute avec la lecture d’un article qui aboutira au lancement de la Cinéscénie en 1978. Son créateur essuie des oppositions et des doutes, surmonte sans cesse contraintes et obstacles. Fort de quelques appuis, sa volonté fera le reste. L’adhésion de bénévoles permettra de le jouer à plus grande échelle. Depuis, la créativité est toujours renouvelée : chaque représentation est étudiée et améliorée et de nouvelles exhibitions sont jouées au Parc de loisirs créé 1988. En 2011, son Président, félicité par Spielberg et Lucas, a reçu le Thea award, la plus haute distinction américaine des parcs d’attraction et a créé une branche internationale afin de répondre aux nombreuses demandes de projets.

ANALYSE ET DISCUSSION

Les résultats sont synthétisés dans le Tableau page suivante (Tableau 1 Synthèse des résultats).

Le contrôle modulaire est en partie validé dans l’organisation apprenante. Le contrôle d’exécution et de pilotage est plus ou moins important selon les cas.

Les grandes organisations imposent une programmation : un plan de vol mais aussi un projet détaillé et un pilotage formel.

Le contrôle interactif est illustré principalement par le contrôle exercé par les doubles. La vigilance des créateurs s’illustre par leurs réflexions sur leur pensée et leur « fil directeur » en choisissant leurs thèmes de discussions. Les cas Temp et Ubi illustrent les modalités du contrôle par un double (accompagnant ou intervenant) qui met sous-contrôle la réflexion sur le projet : le suivi des visions, suggestion de nouveaux thèmes, pose et recadrage des problèmes, élargissement et ventilation des hypothèses stratégiques, de l’offre et du plan d’affaires, questions, tests, diagnostics et conseils. Ils montrent aussi la régulation exercée par le groupe quant à ses idées, tests et diagnostics ainsi que ses conseils. Les cas Flash et Coll confirment la mise sous-contrôle effectuée par les accompagnants afin d’éviter notamment les erreurs. Ils valident aussi le rôle de régulation du groupe aussi apporteur d’idées et de solutions. Il est en est de même avec les cas assertifs et contradictoires : à ceci près qu’elle est plus formalisée et dès l’amont du projet comme la mise-sous contrôle de la réflexion au travers du co-traitement des thèmes du projet avec les partenaires et équipes pluridisciplinaires. Tous les créateurs ont, de fait, un double avec qui ils réfléchissent qu’il soit un associé, accompagnant, tuteur, sponsor exerçant une mise sou-contrôle de la réflexion et un pilotage plus ou moins formalisé du projet.

Ubi et Temp illustrent partiellement le contrôle systémique. Les paradoxes ne sont que très rarement évoqués par rapport au temps (objectivation lente, matérialisation réductrice). Les tensions sont, en revanche, rapidement identifiées et diminuent au fur et à mesure que les problèmes sont traités. Les interactions sont cernées, suivies et traitées pour rendre le projet cohérent sous certains aspects seulement. La cohérence d’ensemble est validée, à la sortie de l’incubateur, par un jury et par le directeur. Les cas Flash et Coll n’évoquent pas de gestion des paradoxes, mais confirment le repérage des tensions et leur amenuisement au fur et à mesure des échanges ainsi que le suivi des interactions des thèmes. La cohérence apparaît, là encore, formelle et en fin de parcours. Les cas assertifs et contradictoires fournissent peu d’éléments a posteriori sur ces sujets : la cohérence d’ensemble validée par des comités, les tensions sont évoquées, un des paradoxes des grands groupes souligné : avoir les moyens permettant de favoriser l’incubation tout mais en étouffant la créativité.

Organisation Apprenante Grande marchande Non-marchande
Contrôle
Informel et diffus
Formel et pluridisciplinaire
Dynamique de créativité
Modulaire
Exécution et pilotage plus ou moins. Faible programmation
Pilotage et programmation
Exécution et pilotage
Interactif
Vigilance, mise sous-contrôle et régulation
Autocontrôle, mise sous-contrôle et régulation
Mise sous-contrôle et régulation
Systémique
Gestion des tensions, des contraintes et interactions, rare gestion des paradoxe
Gestion des tensions, des contraintes, interactions, paradoxes peu évoqués
Gestion des contraintes, tensions et des paradoxes

Cette étude nous a permis de mettre en exergue plusieurs éléments à prendre en considération. Il faut distinguer création et innovation. Une création d’activité peut porter sur une innovation mais pas systématiquement, elle peut aussi être la reproduction d’une activité existante. Une innovation peut porter sur un produit, un service, mais aussi sur leur adaptation qui peut être consécutive à une demande nouvelle ou d’autres innovations. Cependant, elle ne répond pas toujours à une demande identifiée. L’idée d’origine peut être fortuite, venir d’une lecture, d’une rencontre ou d’une expérience mais pas forcément d’un client Sa mise à jour peut donc s’avérer être un processus long dans ce dernier cas et pas toujours conscient. Les modèles connus de projets ne sont pas toujours adaptés ainsi que leurs méthodes classiques de contrôle (Lenfle, 2004). Le temps de préparation d’un projet, au sein d’une grande entreprise, est parfois laborieux : les créateurs doivent essuyer des contraintes organisationnelles, des procédures (Deroy, 2008), mais, bénéficient, quand le projet est validé, de moyens financiers, juridiques commerciaux et techniques ainsi que du réseau du groupe. Ils sont aussi soumis à un dispositif de pilotage (comité exécutif, à qui ils doivent rapporter, et des outils comme des rapports, et des indicateurs qu’ils doivent rédiger) qui sont parfois inhibiteurs ou inadaptés (Lorino, 2009 ; Méric, 2011) mais dont ils tirent partie telles que les compétences des équipes pilotes voire d’un tuteur ou d’un sponsor. Ils profitent aussi d’un dispositif de réflexion : il leur est demandé par les équipes de pilotage ou leur tuteur, d’établir des plans ou des programmes – à trois ans par exemple – dans le cadre d’une stratégie définie par leur groupe. La maturation des projets est plus ou moins longue ainsi que leur mise en œuvre : un projet artistique peut voir le jour rapidement mais l’idée avoir mûrie pendant longtemps, tandis qu’un projet financier pourra connaître une longue phase de maturation liée à l’étude des risques alors que l’idée (cf. microcrédit) est déjà mise en œuvre par des concurrents. La détermination du moment de leur cristallisation n’est pas évidente. Elle peut se faire lors de la présentation d’un prototype, d’un essai ou bien, lors d’une rencontre ou d’une réunion. L’obtention d’une référence semble être un facteur de réel démarrage. Il reste que les récits sont reconstruits a posteriori et parfois la mémoire ne permet pas de retracer l’exacte évolution de ce processus de conception déjà partiel au niveau d’un individu. Ceci amène à gérer de nombreux paradoxes de la conception et l’imbrication de dispositifs de contrôle plus ou moins formels. Il faut prendre garde à leurs interactions parfois préjudiciables (Méric, 2011).

Conclusion

L’idée et le projet (d’innovation) appellent donc un contrôle à la fois modulaire, interactif et systémique ce dès l’amont des projets. Cette étude a permis d’illustrer un modèle cognitivo-sociologique du contrôle.

La tradition managériale a permis de mettre en place des délégations en contrepartie de contrôle et de diversifier des activités et de les développer géographiquement en tenant compte des spécificités métiers et des cultures.

Cette vision analytique complétait la vision comptable et a contribué à outiller le contrôle. Les organismes de contrôle sectoriels se sont mis en place doublés d’organismes régulateurs nationaux voire supranationaux et mondiaux réglementaires et institutionnels. Ils ont montré leur dysfonctionnement et leurs lacunes.

Compte tenu du contexte le contrôle à venir doit être rigoureux tout en étant flexible mais aussi savoir s’autocontrôler. La crise a ses bénéfices : à la fois elle remet sous les feux de la rampe les cost-killers, le contrôle peut s’affirmer et se doubler d’une régulation : celle-ci doit faire appelle à la vigilance pour que les systèmes de contrôle puissent eux-mêmes évoluer et s’adapter à des objets complexes ou imprédictibles. Le contrôle doit être pensé en fonction des prochains temps d’expansion afin de préparer, puis de favoriser l’innovation et ainsi préserver sa légitimité: la vigilance reste de mise trop de contrôle remettrait en cause le contrôle durablement. Il faut probablement un système de contrôle innovant organisateur à la façon d’un Barnard et leader à la façon d’un Mary Parker Follett qui soulignait l’importance de la boucle créative des managers (Wren, 1998).

NOte

1 Levy et Trevarthen (1976) ont défini le métacontrôle comme « un mécanisme neutre qui détermine quel hémisphère est apte à contrôler l’opération cognitive ».

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