Managementcognitif26JUIN2015

Management cognitif Fnege

Le management cognitif de quoi parle-t-on?

Cognition et Management : "action" et "réalisation" du cerveau

Conférence donnée à la Fnege le 26 juin 2015

Catherine Pouget-Cauchy

Docteur en Sciences de Gestion

Université Paris-Dauphine

Le Management Cognitif aujourd’hui.

Le management cognitif est étudié dans le monde de la recherche et mobilisé par les praticiens.

Les scientifiques en font un objet de recherche sur deux thèmes essentiellement :

L’organisation apprenante (Bouvier, 2006) avec la double-boucle d’apprentissage et l’étude des représentations individuelles au sein des comités stratégiques (Michaud et Thoenig, 2007).

  • La double-boucle de l’apprentissage consiste non-seulement à ce que l’organisation apprenante « sache » corriger ses erreurs, mais aussi les anticiper et savoir s’adapter à des situations nouvelles. Autrement dit le management cognitif sert à maintenir cette double-boucle d’apprentissage des équipes au sein d’une organisation prise dans son ensemble.
  • Le management cognitif sert aussi à articuler les visions individuelles des membres d’un conseil ou comité notamment stratégique afin de faire émerger une vision commune.

Du côté des praticiens, le management cognitif permet de gérer les informations et les outils des NTIC (nouvelles technologies de l’information et de la communication) qui peuvent susciter un certain apprentissage.

Le management cognitif ce n’est pas que cela.

En effet, en se référant à l’ensemble du corpus de connaissances des sciences de gestion et cognitives, le management cognitif peut s’enraciner dans une approche  plus élargie et plus dense.

Aussi je vous propose la définition suivante :

« Le management cognitif est l’art de stimuler la réflexivité individuelle et de groupe ainsi que de mettre sous-contrôle des processus cognitifs à l’aide de dispositifs additifs ou intégrés pour favoriser la concrétisation des œuvres de l’esprit : idée, projet… »

Le management ne se résume pas qu’à des techniques (comptabilité analytique…)  ou des outils (reporting et tableau de bord…). C’est aussi un art, celui de motiver des individus, d’animer des équipes[1] à travers une organisation considérée comme « vivante » permettant d’atteindre une certaine performance au sens anglo-saxon : c'est-à-dire atteindre un résultat mais aussi la maîtrise du geste (au-delà de la technique) avec une certaine esthétique afin de réaliser – je continue à filer la métaphore – un chef d’œuvre comme au théâtre, en danse, en musique ou en peinture.

Par analogie, le management cognitif ne sera pas que « techniques et outils » mais aussi « pratiques ».

Les sciences cognitives sont jeunes (fin des années 90  en France (Leyens et Beauvois, 1997), 25/30 ans outre-Atlantique. Elles sont déjà riches de regards différents en termes théoriques et d’illustrations empiriques.

  • En effet elles rassemblent diverses disciplines : biologie, physiologie de la perception, psychologie, intelligence artificielle, neurosciences…
  • Et puisent des exemples dans de très nombreux domaines : en littérature avec les romans ; en musique avec les opéras … mais aussi en architecture avec les monuments, en ingénierie les grands projets d’infrastructure, les découvertes en recherche…etc.

Aussi les sciences cognitives ne procèdent pas que de l’étude des processus mentaux mais aussi des processus créatifs et conceptuels, des idées et des projets : plus concrètement de l’idée d’un roman, la mise au point d’un parfum ou la composition d’un morceau de musique, de l’élaboration d’un projet d’architecture d’un complexe d’immeubles ou d’un pont, ou bien encore d’un nouveau satellite.

Aussi le management cognitif portera sur la réflexion individuelle et de groupe mais aussi sur la création ou la conception qui permettent l’émergence d’une idée et l’élaboration d’un projet.

Mon approche

Ces éléments posés quelle est l’approche que je propose du management cognitif ?

Une approche élargie et plus dense qui repose sur trois piliers.

Le premier est de considérer le processus créatif comme un processus modulaire, le second, de stimuler la réflexivité et le troisième, de mettre « sous-contrôle » le processus à défaut de pouvoir le contrôler.

Le processus créatif modulaire signifie – si je prends une métaphore – de considérer tous les éléments cognitifs comme les couleurs d’une palette de peinture qu’il va falloir apprendre  à utiliser seule ou à combiner pour faire des dégradés, des pleins ou des déliés.

Stimuler la réflexivité, c’est-à-dire enrichir une idée pour favoriser sa concrétisation consiste à étayer et détailler la réflexion en levant les freins éventuels : tics, tocs et tunnels.

Les tics sont nos petits raccourcis de pensée qui influencent les résultats de nos raisonnements, les tocs se rapportent à la façon dont nous raisonnons parfois de façon inadaptée, et les tunnels sont la manifestation d’erreur d’orientation dans nos démarches.

La mise sous-contrôle consiste essentiellement à appliquer un contrôle adapté. En contrôle industriel, le contrôle s’exerce par rapport à un étalon, une référence. En création, il n’a y a pas toujours de référence, alors il est plus pertinent et adéquat de chercher à maîtriser plutôt que de vérifier…

A quel objet s’applique cette approche ?

Cette approche à trois tiroirs peut s’appliquer aux individus, aux équipes, à l’émergence des idées et à l’élaboration de projet, aux organisations et dispositifs de pilotage.

Aux individus afin d’épurer leur réflexion de certains scories comme leurs tics, leurs tocs ou tunnels. C'est-à-dire leurs biais cognitifs :

  • de perception : voir des yeux bleus alors qu’ils sont verts, autrement dit nous construisons une représentation de la réalité qui nous entoure. Il faut s’en méfier, notre perception et la représentation qui en découle sont parfois altérées.
  • de réflexion : chaque individu a tendance à utiliser les modes de réflexion pour lesquels ils ont été formés, qu’ils maitrisent et utilisent souvent : les ingénieurs auront tendance en priorité à vouloir résoudre les problèmes techniques qu’ils identifient. Les stratèges à poser des diagnostics. Les avocats à défendre des positions, les créatifs à explorer différentes options…
  • et de démarche : les individus ont tendance à se référer et à mobiliser la démarche qui leur semble la plus facile : une démarche pragmatique, rapide avec une méthode choisie ou bien une démarche plus complexe, plus longue pendant laquelle plusieurs méthodes pourront être mobilisées.

L’approche permet aussi de stimuler la réflexivité en groupe restreint (2/3 personnes) ou en équipe projet.

L’approche peut aussi s’appliquer au suivi et l’orientation d’idée et de projet d’entreprise : notamment au niveau de leur organisation et leur pilotage.

L’approche est adaptée au projet non-déterministe pour créer ce qui n’existe pas encore. Elle peut dans une moindre mesure s’appliquer à des projets standards car il y a toujours une part de congruence dans les projets : même si des projets similaires ont déjà eu lieu, l’équipe, la situation, les moyens, le budget et l’organisation peuvent être différents et donc le projet et sa réalisation aussi.

Elle peut s’appliquer dans tout secteur de l’économie, tout type d’organisation (entreprise, association, institution) car elle est avant tout cognitive, faisant appel à des processus de réflexion principalement basiques (percevoir, acquérir des informations, les retenir, s’en rappeler pou telle ou telle raisonnement ou action…) que tout à chacun partage et ceci quel que soit son secteur d’activité ou sa spécialité.

Elle peut s’appliquer au niveau fonctionnel d’une organisation existante (lors de la mise en place d’une fonction dans une grande société par exemple) ; au niveau technique pour travailler une idée avant ou  après  le dépôt d’un brevet  si le brevet n’a pas trouvé preneur après un certain nombre d’années; au niveau opérationnel pour le lancement d’une nouvelle activité, ou bien une idée d’entreprise. L’approche peut se travailler en individuel ou équipe restreinte.

Spinova  propose

Des formations qui consistent à appréhender le processus créatif en s’inspirant des créateurs

Des initiations afin d’identifier ses tics et tocs et de stimuler la réflexivité créative.

Des missions d’audit des pratiques cognitives et des dispositifs cognitifs existants : gestion de l’information, techniques, outils. Identifier les leviers d’action et proposer des dispositifs d’organisation et de pilotage adéquats pour favoriser la concrétisation des idées et la réalisation de projets.

Résumer la philosophie de Spinova en quelques mots seraient de dire que l’approche de Spinova du management cognitif et plus élargie que celles reconnues actuellement et réconcilie l’idée et le projet : elle tient compte de façon exhaustive des éléments cognitifs de l’idée et du projet et propose un modèle de projet alternatif aux modèles de l’ingénierie par étapes, séquentiels et linéaires.

Elle répond aux défaillance des méthodologies et méthodes classiques d’ingénierie (PMI à la tête de la certification des chefs de projet maintenant en Europe) utilisées de façon incantatoire ou au contraire ignorée car inadaptées au processus créatif.

Ces méthodologies et méthodes industrielles concourent à des projets peu originaux, à iso-fonctionnalité et n’exploitant pas les opportunités qu’offre une réalité à venir.  

Sans compter les dispositifs de contrôle industriels (trio coûts délai qualité) rarement respectés, peu ou mal définis en amont des projets par manque d’information (l’information s’acquiert petit à petit et il est rare de tout connaître d’un projet au démarrage même si nous étions capables de rassembler toute l’information disponible et qui constituent plus des limites que des contraintes stimulantes.

La petite histoire…

Si mon expérience professionnelle m’a sans doute donnée mon premier terrain d’observation, ma recherche m’a permis d’élargir ma vision de la gestion de projet, en travaillant l’amont (l’idée) et de réconcilier les deux aspects : en les considérant comme ne faisant qu’un et non pas de façon cloisonnée : verticalement comme dans les grandes organisations et horizontalement dans le temps.

Ma recherche s’est inspirée des modèles issus des milieux créatifs (littérature, danse, musique, poésie, peinture..) des milieux conceptuels (recherche, ingénierie,  architecture, informatique).

La recherche cognitive que j’ai effectuée rassemble des éléments sur la physiologie de la perception, la mémoire, le traitement de l’information, la créativité, la constitution de nos visions, les démarches de créativité, de résolution de problème et de prise de décision.

Le pilotage est appréhendé sous trois angles : les éléments cognitifs, les media qui permettent de les contrôler et les dispositifs adéquats  à mettre en place.

Bibliographie

BOUVIER A. (2006), Management et Sciences cognitives, 1ère éd 2004, Que-sais-je, Paris, Puf.

LEYENS J.-P. et BEAUVOIS J.L. (1997), L’ère de la cognition, La psychologie sociale, Tome III, Presses universitaire de Grenoble, 355 p.
MICHAUD C. et THOENIG JC (2007), Le Management Cognitif, Dauphine Recherche en Management (UMR 7088), DMSP université Paris Dauphine et CNRS.
PESQUEUX Y. & FERRARY M., Management de la connaissance, « Knowledge Management, Apprentissage organisationnel et Société de la Connaissance, coll. Gestion, Economica, 2006, p. 230.

[1] je n’utilise pas le terme de capital à dessein…