Energy efficiency concept

Penser l’innovation autrement

Penser l'innovation

La pensée évolue en miroir d'une idée d'innovation qui évolue au fil du temps

Groupes thématiques
« Innovation » et « Ressources, compétences et capacités dynamiques » de l’AIMS
Capacités Dynamiques et Innovation, Nice, 11 et 12 avril 2013
PROPOSITION DE COMMUNICATION
Catherine Pouget - Cauchy
Docteur ès Sciences de Gestion
DRM CNRS UMR 7088
Université Paris-Dauphine
Place du Maréchal de Lattre de Tassigny
75116 Paris Cedex
PENSER L’INNOVATION
L’innovation est l’application d’une idée inédite. Elle encourage à penser différemment et de ce fait amène à développer des capacités cognitives et d’exercer des compétences qui favorisent sa mise au point et sa diffusion. La communication propose une revue de littérature cognitive et managériale sur la pensée et la réflexion créative au coeur du processus d’innovation. Elle est illustrée par une étude empirique auprès de créateurs d’entreprise dont la réflexion sur leur idée a été enregistrée au cours de leur accompagnement au sein d’un incubateur parisien créé en 2005. Les études de cas illustrent à la fois l’évolution du fruit de la pensée en même temps que l’élargissement des processus cognitifs sollicités, l’évolution du mode de réflexion et son organisation initiant une dynamique pouvant influer sur la pensée.
Mots-clés : Création, pensée, réflexion, processus cognitifs, dynamique, innovation.
INTRODUCTION
Les innovations sont de produits ou de services (Guellec, 2009, p. 4). Avant toute innovation il faut une idée fruit du hasard ou de la pensée. Elle s’impose à l’esprit ou l’esprit la reconnaît ; l’esprit la produit intuitivement par expérience ou l’élabore par connaissance. La pensée et le travail de réflexion en amont de l’innovation est à la fois conscient et inconscient. Comment cela se produit-il ? Quelles capacités et compétences sont mobilisées ? Quelles en sont les conséquences sur l’innovation ? L’approche managériale nous permet de comprendre la genèse de l’innovation : la création et sa conception, l’idée et son élaboration. Elle amène à
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développer des capacités et des compétences (Savall, 1989) faisant évoluer l’idée d’innovation, et la pensée elle-même. Ainsi l’idée élaborée, nourrie de différents partenaires et de premiers clients potentiels profite de l’initiation de sa diffusion même si elle reste confidentielle dans un premier temps. La dynamique maintenue pourra favoriser l’évolution de l’innovation ou d’autres par la suite. Le cadre théorique soumis ci-après permet d’établir une grille d’analyse qui précède l’exposé de l’étude empirique. Les résultats sont ensuite présentés à travers la grille d’analyse et discutés.
1. CADRE THEORIQUE
L’approche cognitive et managériale permet de distinguer la pensée de la réflexion créative tout en saisissant leur interaction, de rappeler l’importance de la gestion du paradoxe entre stimulation et organisation pour favoriser l’émergence des idées et de penser l’organisation de la réflexion afin d’amorcer une dynamique. Elle conduira à déterminer une grille de capacités et de compétences d’un individu ou d’un groupe afin de réaliser les tâches et les activités qui contribuent à une innovation.
1.1. Penser ou réfléchir à l’innovation
L’innovation repose à l’origine sur une capacité d’imagerie et d’objectivation du créateur aidé parfois d’un concepteur ou d’un innovateur ou d’un pair dans un cycle récursif et itératif.
1.1.1. Penser
La pensée est image (Damasio, 1995, p. 144). Elle est individuelle et se nourrit des autres. Elle se produit dans la tête d’un individu et fait appel à ses connaissances ou à ses expériences acquises par et avec les autres. Elle mobilise les capacités d’imagerie et les facultés de perception. L’imagerie se produit quant un parfumeur imagine une composition, en sollicitant ses facultés olfactives (Holley, 2005, p. 161) ; un musicien, un morceau, en faisant appel à ses facultés auditives ; ou un cuisinier, un plat, en mobilisant ses capacités gustatives (Rouby, 2012). Elle se produit aussi lors de l’incubation des problèmes en reproduisant mentalement
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un énoncé à haute voix ou encore en simulant une expérience comme Einstein qui put établir la théorie sur la relativité en s’imaginant dans un ascenseur en chute libre (Brabandère, 2004).
La pensée créative consiste à alterner moment de divergence et de convergence (Guilford, 1967), en intercalant des moments de fixation de la mémoire grâce à la réalisation de représentation abstraite ou concrète. Cette dernière a des avantages (fonction de rappel facilitée et flexibilité) même si elle est imprécise en se focalisant sur des points saillants. L’intuition, l’incubation et l’illumination sont les éléments présents dans la plupart des modèles de création (Bonnardel, 2006) mais leur maîtrise échappe encore à l’individu. Les modèles se tournent vers la modularité (Lubart, 2009). En revanche leur stimulation semble bien relever de leur orientation (problème ou création).
1.1.2. Réfléchir
La réflexion repose sur la capacité d’objectiver les pensées. Cela consiste à les étudier, les étayer et à les modifier le cas échéant en mobilisant des processus cognitifs d’expertise, de créativité et de prise de décision et précédemment de percevoir et de traiter des informations : d’être attentif et de savoir classer et encoder l’information afin d’éviter la surcharge d’information et pouvoir accéder à une information pertinente rapidement (Reed, 2010). Le rôle de l’analogie est omniprésent en créativité et l’entraînement en expertise. Ces tâches et ces activités permettent de trouver des « nouvelles » idées par comparaison ou extrapolation, d’induire des cadres de pensée, d’effectuer des arrangements au sein d’une situation ou bien de la transformer, d’établir des diagnostics, d’élaborer des prévisions et d’effectuer des choix en vue d’action dans une visée constructive.
1.1.3. Un cycle récursif
La réflexivité est la capacité à exercer un retour sur notre pensée. Les premières idées sont fixées, puis elles sont objectivées à l’aide de différents processus cognitifs et favorisés par des rencontres avec des tiers institutionnels, politiques ou économiques. Elles génèrent alors des
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conclusions qui sont à leur tour fixées sur le papier et ainsi de suite, jusqu’à temps que l’idée soit assez élaborée pour être figée – provisoirement – avant sa mise au point et sa diffusion (Pouget, 2012). Cette boucle itérative outre le fait qu’elle produit des modifications sur le produit de la pensée et de la réflexion, peut aussi les faire évoluer. Questionnements et tests font évoluer l’idée et corrigent les erreurs de raisonnement et de perception mais aussi d’interrogent les modes de réflexion. La pensée conceptuelle alterne des évaluations situationnelles, normatives et projectives (Schön, 1987). Elles initient, étayent ou modifient la réflexion le cas échéant et contribuent à élaborer l’idée.
La pensée est image. La réflexion permet une première confrontation à la réalité. L’échange permet de verbaliser l’idée et les rencontres avec des tiers de la nourrir. La réflexion enrichie fait évoluer à son tour la pensée.
1.2. Gestion du paradoxe de la création
La pensée semble erratique et floue. L’homme sait gérer les paradoxes (Bateson, 1984). Aussi des créateurs ont su se saisir de leurs idées et les élaborer pour qu’elles reçoivent une audience élargie (Gardner, 2007). La pensée peut-être stimulée en alternant « ses moments » même de façon irrégulière et la réflexion peut en partie s’organiser autour d’activités.
1.2.1. Stimuler la pensée
La pensée peut être stimulée de différentes façons. Celle créative peut être stimulée par des méthodes de créativité (Reed, 2010) et la régulation de groupe (Anzieu, 2007). Celle conceptuelle est progressivement enrichie en mobilisant diverses méthodes régulièrement.
Certaines méthodes de créativité sont critiquées, d’autres ont fait leur preuve. Elles consistent en particulier à diversifier les sources d’information, à favoriser la divergence par des associations curieuses, illogiques ou sous contraintes (techniques ou à partir d’éléments) afin de reculer les frontières du possible. La pensée conceptuelle peut être stimulée en résolvant des problèmes de différentes façons et en effectuant régulièrement des diagnostics explorant
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diverses options. En effet, il existe plusieurs méthodes : induction de structure pour le définir, les arrangements an cas de contraintes techniques matérielles ou financières, les missionnaires en cas de problèmes complexes à résoudre par étape. En outre la résolution de problème permet d’orienter la pensée. Les diagnostics procurent des « photos » à différentes étapes supprimant les doutes pas à pas : les choix sont effectués plus sereinement. La prise de décision finale est étayée, à la fois plus stable et plus flexible (Latour, 2003). Les différentes options ayant été étudiées, une adapation possible est rapidement évaluée et facilitée.
1.2.2. Organiser la réflexion
Selon une approche managériale (Anthony, 1967 ; Bouquin, 2005) la réflexion peut être cartographiée entre tâches physiologiques, tâches et activités cognitives. Elle permet d’envisager l’organisation de la réflexion. Même si elle est souvent décriée, la pensée gestionnaire, de facto pluridisciplinaire, intègre la complexité (Morin et al., 1999). Elle permet, au-delà des tâches standardisées et des activités maîtrisées par l’entraînement, de gérer des projets et particulièrement d’innovation – avec des risques et un certain degré d’incertitude caractéristique de la pensée stratégique –. Les tâches (perception, attention, traitement d’information) et les activités (créativité, expertise et prise de décision) sont organisés en fonction de la démarche adoptée : résolution de problème ou créativité ; individuelle ou collective qui appelle vigilance et régulation. Il ne s’agit pas de planification (Alter, 1995) mais de favoriser l’alternance des moments de la pensée pour la stimuler et nourrir la réflexion ; de mettre en alerte la perception et d’optimiser le traitement d’information et de mobiliser les activités individuelles et de groupe à bon escient.
La pensée stimulée et la réflexion organisée étayent l’idée d’innovation et permet d’appréhender sa complexité. S’influençant réciproquement, elles peuvent générer une
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1.3. Pensée l’organisation
La combinaison de la stimulation et de l’organisation offre foisonnement et stabilité à l’origine des contextes d’innovation (Csikszentmihalyi, 2009). Ces derniers pourraient être soutenus par une démarche, des méthodes et des outils cognitifs.
1.3.1. Démarche
La démarche rappelle que la créativité est présente en conception qui se focalise sur la résolution de problème. Tout comme la résolution de problème est sollicitée en création qui est tournée vers la créativité. La démarche permet au créateur de suivre un fil directeur (pouvant s’appuyer sur une méthodologie projet formalisée avec un accompagnant) quand il est noyé sous l’information, la multiplicité des exercices ou des résultats divergents des diverses activités et modes de pensée. La démarche incite le créateur à noter les avancées de sa réflexion et le retour sur sa pensée ; elle forge ainsi le rythme de « sa pensée créative » comme un artisan peut faire l’apprentissage « d’un tour de main » avec un maître.
1.3.2. Méthode
Stimuler la pensée créative méthodiquement peut paraître inhibiteur. Pourtant simuler des exercices de pensée comme un danseur un pas de danse, peut non seulement l’améliorer, mais aussi le parachever, lui permettre d’aller plus loin (Gardner, 2001) et de créer un certaine expertise (Weinberg, 2010) grâce à la dynamique de l’esthétique (Guillet de Montoux, 1998). La diversité des méthodes y compris de diagnostics, réassurent la démarche ainsi que le choix travaillé d’options. Les résultats par leur richesse de point de vue peuvent accélérer la mise au point de l’innovation. Ainsi elle maintient la dynamique de pensée : la variété évite la répétition et la sensation de stagner. La dynamique se poursuit et l’entraînement progressif « à penser » peut laisser une empreinte constituer un apprentissage mobilisable ultérieurement.
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1.3.3. Outils
Des expériences montrent l’apport d’outils techniques favorisant la compréhension de notre façon de penser « autrement » en même temps qu’elle favorise cette autre pensée. D’anciennes (Berthoz, 2010) et de récentes études montrent la capacité de l’individu à se saisir d’outils comme les jeux vidéo ou les simulateurs. Le jeu du Tétris (Gärdenfors, 2001) montre à quel point l’individu est capable de simuler la résolution d’un problème mentalement avant de l’effectuer, mais aussi d’intuitivement jouer avec les éléments soumis à sa sagacité. Des expériences en physiologie de la perception ou en neurosciences montrent comment des musiciens s’approprient de nouveaux outils pour créer (Luciani, 2012).
Démarche, méthodes et outils contribuent à nourrir l’élaboration de l’idée d’innovation et offrent un apprentissage à l’organisation de la pensée innovante et contribuent à la diffusion de l’esprit d’innovation.
Les éléments évoqués précédemment conduisent à dresser le tableau suivant des capacités et des compétences mobilisées et générées en amont d’une innovation :
Tableau 1 Grille des capacités et compétences émergentes des créateurs d'innovation
Eléments cognitifs
Capacité
Compétences
Conséquences sur l’idée d’innovation
Pensée
Imagerie
Divergence/Convergence
Evaluation normative, situationnelle et projective
Alternance des moments de façon opportune même irrégulièrement
Création d’une dynamique
Réflexion
Créativité
Expertise
Prise de décision
Perception et traitement d’information
Organisation des activités
Elaborer l’idée : tester, confronter, modifier, enrichir
Démarche
Créativité ou (et) résolution de problème
Garder à l’esprit une démarche et la suivre tout en pouvant la réorienter
Flexible et plus stable
Méthode de créativité et de résolution de problème
Analogie
Identification des problèmes : induction de structure, arrangement, mission et Diagnostics
Mobiliser les méthodes adéquates, les varier
Diversifier, résoudre et apprécier sous ses différents aspects fonctionnels et techniques l’idée
Outils
Curiosité et expérimentation
Savoir rechercher des nouveaux outils, les tester et en tirer des enseignements
Enrichir sa conduite et ses modes de pensée
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2. ETUDE EMPIRIQUE
Il est difficile d’étudier l’idée work in progress pour deux raisons principales : d’une part, son observation complète reste délicate à travers des véhicules verbaux ou écrits, d’autre part, plurielle, il est délicat d’en saisir tous les aspects d’autant plus que le créateur, n’est pas toujours le concepteur ni l’innovateur. L’approche anthropologique adoptée a permis de saisir la formulation de la pensée des créateurs in vivo, au cours d’échanges avec leur accompagnant à la création d’entreprise. La méthode d’analyse a permis de décrire l’évolution de l’idée et de saisir les processus cognitifs à l’oeuvre en distinguant capacités et compétences, tâches à réaliser et activités à mener. La restitution sous forme d’études de cas caractérise les deux types d’innovation, technologique et de procédé.
2.1. Méthodologie
Nous avons adopté une démarche qualitative et une approche anthropologique. Nous avons privilégié quelques cas illustratifs, la littérature antérieure le permettant (Bhave, 1994). Par pragmatisme nous avons évité la surcharge d’informations incitant aux raccourcis de pensée tout en cherchant à ne pas faire l’économie du traitement de l’information la plus exhaustive possible sur un petit nombre de cas.
2.1.1. Au plus près de notre objet de recherche
Nous avons étudié la genèse de l’idée au plus près de sa formulation à travers sa verbalisation, premier véhicule de sa formalisation. Le courant behavioriste remet en cause la possibilité d’étudier l’introspection comme John Watson (1925). Si les méthodes sont critiquables, l’introspection reste un objet d’étude (Dehaene, 2009 ; Changeux, 2008). La réflexion à haute voix peut être étudiée ou encore la réflexivité même si chaque individu n’a pas toujours conscience de tous ses processus cognitifs pouvant être rapides voire inconscients (Piatelli-Palmarini, 2006). Nous aurions pu demander aux créateurs choisis de noter dans un carnet leur pensée, leur réflexion sur leur création et les éléments réflexifs que cela évoquaient pour
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eux. Nous n’aurions pas eu alors de contrôle sur le processus de restitution. Aussi, nous avons privilégié l’accès direct fidèle même partiel et ce sans entraver la réflexion. Pour se faire nous avons demandé l’autorisation de filmer les échanges des créateurs en situation de coaching avec un accompagnant. Nous avons opté pour une démarche abductive tenant compte des aspects encore méconnus de la genèse des idées d’innovation et de la diversité des modèles relevés dans la littérature. Nous avons élaboré une première grille d’analyse que nous avons modifiée et étayée en fonction des éléments émergents du terrain qui nous ont conduit à approfondir la revue de littérature.
2.1.2. Triangulation des sources
Afin d’assurer la fiabilité et la validité de la recherche le recueil de données a été effectué par observation directe, entretiens et documentation secondaire. L’analyse de la réflexion a été réalisée à partir des films complets des séances d’accompagnement individuel de deux créateurs sur six mois. Justifiant de l’utilisation d’un support vidéo à la fois pour satisfaire les exigences de confidentialité des protagonistes – paradoxalement, les films laissant une trace – mais aussi pour palier les difficultés d’observation et de prise de notes simultanée.
2.1.3. Etude de cas
L’étude de cas donne une représentation d’une situation dans un contexte spécifique et permet de saisir les dynamiques présentes (Eisenhardt, 1989) mais ne peut conduire à des généralités. Elle cherche « à comprendre le comment plus que le pourquoi » (Bouquin, 1997). Elle a souffert de nombreuses critiques. Son utilisation nécessite de décrire les biais éventuels et l’implication des auteurs, le contexte et l’analyse de cas multiples. Afin d’éviter en partie les biais nous n’avons pas caché notre statut et dans un contexte d’innovation, notre recherche a reçue un bon accueil de la part des créateurs observés en situation eux-mêmes d’étude. Filmer les échanges a minimisé les interférences entre le chercheur et son objet, la caméra ayant été vite oubliée. Nous avons choisi d’étudier des cas de création d’entreprise au sein d’une
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organisation apprenante (Bouvier, 2009). L’incubateur retenu Advancia dépend de l’école du même nom « où les projets prennent vie ». Elle est attachée à la C.C.I.P. et se situe au sein du bassin reconnu d’affaires parisien. Il rassemble une communauté entrepreneuriale ayant accepté de dispenser cours académique, expertise en atelier et accompagnement à la création tout en octroyant matériel et finance à des créateurs sélectionnés pour leur idée innovante.
A partir d’une méthodologie cherchant à découvrir le « caché dans le quotidien », s’appuyant sur la triangulation et la restitution du corpus de terrain sous forme d’étude de cas, nous avons progressivement enrichie la grille théorique établie. Elle illustre un modèle cyclique, récursif et modulaire de la création, plutôt que séquentiel et phasique ; avec une démarche modulable non exclusive ne privilégiant pas uniquement tantôt la créativité, tantôt la résolution de problème ; et le plus exhaustif possible rappelant les capacités et compétences cognitives mobilisées lors de l’émergence et l’élaboration d’une idée d’innovation.
2.2. METHODES
En regard à la méthodologie nous avons recueilli des données de différentes sources et nous avons choisi la méthode d’analyse de contenu afin de comprendre et d’interpréter les données mais tout en en préservant leur sens et sans les altérer.
2.2.1. Recueil de données
Nous avons obtenu certains documents institutionnels de l’incubateur comme leur plaquette mais aussi le guide du créateur rassemblant les cours et les interventions et leurs évaluations par les différents intervenants (directeur, accompagnants). Les enregistrements des échanges des créateurs ont été réalisés à l’aide d’un caméscope posé sur une table perpendiculairement aux interlocuteurs. Nous avons ensuite procédé à des entretiens semi-directifs (Robert et al., 2002) avec les créateurs, le directeur et les accompagnements afin de croiser les données. Le nombre d’acteurs interrogés restreint satisfaisait à l’esprit de notre protocole en choisissant tous ceux impliqués dans les échanges (créateurs, accompagnants, experts intervenants). Les
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entretiens selon des guides à questions ouvertes afin de ne pas influencer nos interlocuteurs mais tout en s’assurant qu’ils évoquent voire qu’ils digressent sur l’objet de recherche.
2.2.2. Analyse de données
Nous avons eu recours à l’analyse de contenu (Bardin, 2001) afin de comprendre l’évolution de l’idée et d’identifier les capacités cognitives mobilisées par les créateurs ainsi que leurs compétences mises en oeuvres. Nous avons procédé à une pré-analyse pour dresser les thèmes principaux (pensée, réflexion, démarche, méthode et outils), puis avec un aller retour entre théorie et terrain nous avons établi un codage manuel plus fin au niveau de capacités cognitives présentes dans la littérature puis dans un second temps les compétences mobilisées et leurs conséquences sur les idées d’innovation.
2.2.3. Présentation des cas
Six cas de création ont été étudiés au sein de l’incubateur sélectionné illustrant des cas d’innovation technologique ou d’évolution d’innovation de service. Deux cas centraux, Ubi et Temp, deux cas connexes, Flash qui s’associera avec Ubi et Coll qui s’inspirera de l’expérience de Flash. Desin est un cas particulier d’abandon. Chaque idée est présentée dans le tableau ci-après en précisant la date de création des entreprises (au sens d’unité légale) :
Tableau 2 Présentation des six cas de créations
Nom des cas
Temp
Flash
Coll
Ubi
Tour’Alert
Desin
Idée d’innovation technologique ou de procédé
Travail temporaire sur mesure avec suivi personnalisé des clients et des candidats à hautes compétences
Développement d’application « client rich » facilitant la navigation sur les sites web et les outils bureautique
Edition de logiciels de travail collaboratif open source, c'est-à-dire de « logiciel libre »
Visite à distance de salons professionnels
Information des ressortissants français à l’étranger sur les risques terroristes, sanitaires ou naturels par S.M.S.
« Remodeling » d’intérieur
Date de création
2006
2001
2006
2006
2006
2006 (abandon)
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Le créateur d’Ubi passionné de nouvelles technologies combine deux évolutions, l’une sur le transfert de données en grande quantité et l’autre sur la miniaturisation de la caméra qui permettent des visites à distance sans rupture avec une image d’excellente qualité.
Le créateur de Temp souhaite reproduire sa précédente expérience de création de filiale dans le recrutement en l’améliorant avec plus de rigueur et de « sur mesure ». Sa démarche est confortée par sa connaissance du marché du travail, sa démographie (favorable aux salariés) et son évolution réglementaire autorisant à la fois gestion pour tiers, recrutement et intérim.
Le créateur de Coll participe au déploiement de l’open source. Il tire l’idée de son expérience professionnelle : le wiki n’est utilisé que dans un milieu confidentiel d’ingénieurs. Il souhaite le rendre accessible à d’autres professionnels, ayant constaté le profit que ceux-ci pouvaient en tirer (gestion documentaire et partage instantané d’informations à distance).
Le créateur de Tour’Alert tire son idée de sa première création d’entreprise réussie (vente sur internet de voyage à la montagne suite à une expérience dans le tourisme alpin). Il a constaté un besoin d’information des touristes en cas de rapatriement de l’étranger. Il profite d’innovation comme le téléphone portable et le S.M.S. afin de proposer un service d’alerte.
Le créateur Desin a déjà été « intrapreneur ». Elle tire son idée de sa précédente expérience dans le textile et sa sensibilité pour la décoration. Elle a identifié une attente de marché pour le réagencement d’appartement et de plusieurs tendances (« relooking » et modularité). Finalement, il décidera de ne pas créer son entreprise et s’associera.
L’idée du créateur de Flash est venue d’une innovation de langage informatique Flex dont il est le premier certifié en France. La mission de l’entreprise est d’améliorer l’interface homme/machine : naviguer d’une page à l’autre sans perdre l’historique que ce soit sur internet (utile dans les réservations en ligne, même en cas de déconnexion) en dans l’utilisation bureautique sur PC. Il vient de s’associer avec un développeur commercial donnant un second souffle à son entreprise.
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3. RESULTAT & DISCUSSION
Chaque cas est analysé en reprenant en trame de fond notre grille théorique, puis discuté.
3.1. Résultat
3.1.1. Ubi, visite à distance
L’imagination du créateur d’Ubi se discerne dans l’évolution de son idée et ses problématiques : de visite à distance de salon professionnel à celle de musée ou encore d’appartement pour les expatriés ; lors de la recherche d’un partenaire technique pour la qualité d’image à celle d’un partenaire Télécom pour sa transmission rapide. Des évaluations sont réalisées formellement ou incidemment : lors de la sélection à l’entrée de l’incubateur ou bien au jury de fin de parcours, lors de la rencontre du directeur d’un grand centre d’exposition de la ville de Paris ou à l’occasion de la formalisation de son partenariat informatique, de l’obtention d’une subvention pour financer son prototype. Des boucles de réflexion sont organisées sur différents thèmes de la création d’entreprise et des problématiques singulières : techniques pour la qualité d’image, tarifaires pour un marché inexistant, stratégiques fonction d’un besoin client « à faire émerger ». La créativité laisse envisager l’application de l’idée à d’autres secteurs. L’accompagnant aide le créateur à formuler son offre, un expert à travailler son discours et à surmonter ses doutes sur sa capacité commerciale. Les rencontres externes ponctuent les boucles : la recherche d’information auprès des responsables de différents secteurs (musée Carnavalet, mairie de Paris, Salon Porte de Versailles) permet de tester l’idée. Les discussions individuelles ou de groupe au sein de l’incubateur conduisent le créateur à penser l’organisation de son projet et sa vision stratégique se modélise. La démarche repose sur la résolution d’un problème technique : comment assurer le flux et la qualité d’image pour des clients exigeants du fait de leur activité ou du caractère singulier de leur démarche (médicale, artistique ou expatriation). Le recours à l’analogie ou à des exemples ainsi que la mise en situation sont très présents: l’un pour établir
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un prix en fonction des capacités de visites d’un agent immobilier ou un partenariat en s’inspirant de la téléphonie mobile, l’autre pour identifier des cibles via l’idée de contrôle lors de chantier. La résolution technique des problèmes se fait en faisant appel à des partenaires, elle est en quelque sorte déléguée. La formulation d’hypothèses et d’options, permettent d’étudier la plupart les alternatives et d’effectuer des choix techniques et commerciaux. Des dessins explicites aident à déterminer et à mieux présenter l’offre. L’évolution de l’idée de départ conduit à chercher un partenaire pour réaliser un prototype. Ce dernier testé positivement sera catalyseur de l’offre et une rencontre avec un médecin la rendra opérationnelle. Les différents rencontres ont forgé une dynamique d’échange et ont enrichis les modes réflexion du créateur bien qu’il ait été réticent à parler de son idée à l’origine. Il fut récompensé par le prix de l’innovation de la ville de Paris pour la mise en fonctionnement de la visite médicale à distance à l’hôpital Georges Pompidou.
3.1.2. Temp : intérim sur mesure haute compétence
Le créateur de Temp éprouve des difficultés à imaginer les différents aspects de son projet et à formuler son offre. Son expérience antérieure lui fournit un exemple de référence mais joue aussi un rôle de carcan sur la stratégie de positionnement généraliste trop large ou les moyens trop coûteux au démarrage (outils de communication, locaux). En revanche, il parvient à alterner divergence et convergence sur les outils de communication (changement de nom, différents logos travaillés, plaquette), la stratégie (offre, positionnement) et les aspects financiers (investissements et prévisionnels). L’évaluation situationnelle est issue de son expérience et du retour positif d’un intervenant externe sur le logo et le nom de société et confirme la tendance des marchés « vers plus de sérénité » ; Celle normative a lieu lors de la sélection et du jury de l’incubateur ; celle prévisionnelle est réalisée lors de son rendez-vous avec sa banque qui est réticente et lors de sa rencontre avec la société de caution mutuelle très encourageante. La réflexion s’organise de façon récurrente autour de thèmes relatifs à l’offre
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(à définir), des aspects marketing (logo, charte graphique), le positionnement stratégique (tout secteur et multiples activités) l’élaboration de son plan d’affaires qui dépend de sa capacité commerciale dont le créateur doute. Il fait appel à des experts autant pour la recherche de logos que pour son financement. La réflexion donne lieu à diverses synthèses du projet sous forme de présentations succinctes ou détaillées, chiffrées ou pas dont des graphes pour sa marge en fonction des profils. Il acquiert des informations auprès de différentes personnes (anciens collègues, candidats, partenaires potentiels). Sa démarche est orientée vers la créativité afin de différencier son offre de service de celle de ses concurrents. Peu d’analogies et de comparaisons sont effectuées explicitement, quelques-unes le sont à partir de relations pour l’organisation. Une analogie sous-tend la réflexion, celle de l’expérience du créateur. Des mises en situation de recrutement sont appelées, des exemples filés de concurrents pour la stratégie, des réflexions sur le vocabulaire pour le nom de société. Pourtant elles ne permettent pas à l’offre d’être formulée tout de suite. La problématique stratégique porte sur le surdimensionnement et le manque de financement au démarrage et encourage un partenariat. Le test sur la faisabilité organisationnelle (recrutement et commercialisation en parallèle) et financière ne convint pas pour autant le créateur de modifier ses critères de décision voire d’étudier d’autres options. Des transferts d’expérience sont effectués et des hypothèses sont recherchées et explorées par l’accompagnant (inutilité de la société d’affacturage, intérêt d’un expert comptable). Les décisions ne sont pas détaillées en séance mais les choix effectués sont évoqués : le rejet d’une proposition salariale dans un grand groupe et de débuter l’activité sans locaux, le choix du nom et du logo. La dynamique se met lentement en place. Les rencontres de fin de parcours accélèrent l’évolution de l’idée et sa mise en oeuvre épurée. La créativité de la démarche génère des rencontres et des confrontations qui permettent de maintenir la réflexion et d’envisager plusieurs options même si elles sont rejetées (partenariat commercial et financier). La réflexion du créateur s’est
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nourrie en suivant la formation de l’incubateur : il a réussi à prendre du recul par rapport à son expérience passée en testant ses idées arrêtées. Finalement, « exposé » à diverses façons de pensée, il a fait évoluer la mise en oeuvre prévue de son idée et probablement sa propre pensée : le créateur dira que « le coaching ne lui a pas été utile, mais lui a apporté beaucoup ».
3.1.3. Coll : le wiki outil collaboratif
La pensée du créateur s’est focalisée sur le modèle de gratuité du « logiciel libre ». L’alternance des moments de pensée est marquée par la divergence sur le positionnement et l’accroche commerciale avec le groupe de l’incubateur ; la convergence sur la présentation de l’outil (le wiki) de façon compréhensible, puis le positionnement : cibler les entreprises clientes ou des prescripteurs, proposer un outil seul ou complété par un service d’intégration. La réflexion organisée autour des ateliers en groupe permet d’identifier de nouvelles problématiques. La cible, les activités et le positionnement stratégique sont travaillés lors de l’atelier commercial : vente aux particuliers ou professionnels ; vente d’un outil et/ou de service d’hébergement sous-traité ou non, option initiée lors d’une rencontre au salon de l’éducation. Le modèle économique de la gratuité avec options payantes est discuté même si le coût d’hébergement onéreux est compensé par la gratuité des développements réalisés par les utilisateurs. Le groupe permet une première évaluation situationnelle de l’outil sur son utilité et sa compréhension. Il identifie en atelier la problématique de la tarification d’un objet gratuit. La pertinence de développer une autre activité stratégique comme la formation sur l’outil a été préconisée lors d’un rendez-vous avec un grand compte. La démarche du créateur repose sur une problématique commerciale de développement et la recherche d’un financement. Elle sera élargie à la stratégie et à l’organisation des associés. La collaboration avec le créateur de Flash leur a permis de comparer leur stratégie. L’un dispense déjà des formations et développe un prototype, le second a déjà développé un prototype et s’interroge sur sa capacité à donner des formations. Coll profite des contacts de Flash en répondant à un
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appel d’offre pour lequel il sera accepté. Ce qui leur réconfortera dans son repositionnement. L’accompagnement aidera le créateur et son nouvel associé à s’organiser (répartition des rôles et des tâches), à saisir que le nouvel associé avait besoin de comprendre l’outil pour le commercialiser. Le créateur en ayant accepté d’autre regard sur son idée, déjà mise en oeuvre, a permis de la développer et de la commercialiser autrement. Ainsi, il a obtenu deux nouveaux clients d’envergure dans le nucléaire et les pôles de compétitivité: Iter et Cap Val. Il contribue ainsi à sa diffusion dans d’autres secteurs.
3.1.4. Tour’ Alert : service d’alerte par S.M.S.
L’idée semble fixée. Les moments de convergence sont plus nombreux que ceux de divergence. Les problèmes de financement et de facturation sont traités à plusieurs reprises et le modèle économique retravaillé. L’évaluation marquante est celle d’un prix d’innovation en 2005. L’expérience du créateur constitue une évaluation situationnelle renouvelée par celle de l’incubateur. La réflexion s’organise autour de l’accompagnement individuel. Le créateur, ayant déjà créé une entreprise, en maîtrise les différents aspects et confronte peu son idée. Deux problèmes sont imbriqués : le modèle de gratuité et la multitude de clients et de fournisseurs (télécom) qui posent les problèmes d’accès et de facturations multiples. L’accompagnement individuel permet d’explorer plusieurs possibilités qui seront cumulées : le modèle quasi-gratuit sera préservé en prélevant une partie du coût aux opérateurs en échange de développer leur clientèle ponctuellement et des services payants en supplément; et le paiement par le client d’un faible coût avec la participation du «Ministère des affaires étrangères ». La démarche fait suite à l’obtention du prix et profite d’un contexte favorable (attentat et guerre cristallisant le besoin) mais pose la problématique générale du financement d’un modèle gratuit. Toujours en alerte, le créateur intègre rapidement de nouvelles pistes. L’analogie principale est de s’inspirer des modèles internet pour établir le modèle économique repensé. Les problèmes (facturation et accès aux cibles) sont réglés en
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collaboration avec les partenaires. L’idée, bien qu’ayant eu une longue maturation, se remodèle avec succès. L’expérimentation de l’incubateur est à l’image du parcours du créateur rappelant ses capacités : d’attention renouvelée, d’enrichissement de son idée et de sa réflexion. Elle deviendra elle-même accompagnant de futurs entrepreneurs.
3.1.5. Desin : remodeling d’intérieur
Le créateur semble avoir développé une capacité d’imagerie utilisée lors de ses expériences professionnelles précédentes en créant et développant une filiale : il lui permet de faire évoluer son offre et sa communication, de préparer son lancement (mise en oeuvre au printemps) et sa stratégie (lancement d’un réseau de franchisé). Le créateur alterne les moments de divergence et de convergence mais privilégie ce dernier dans la mise en oeuvre. La première évaluation situationnelle a lieu avec le directeur de l’incubateur, une seconde, lors d’une formation extérieure où elle teste son idée : il existe bien un besoin mais les clients potentiels ne sont pas prêts à payer ce service de remodeling d’intérieur. La réflexion s’organise autour des ateliers, de son accompagnement individuel mais aussi de son meilleur ami qui l’aide à formuler et formaliser son idée. La définition de l’offre (service sur-mesure) est travaillée régulièrement et permet de forger une vision stratégique de long terme. Son attention est accrue car elle sent les tendances du marché et leur évolution. La démarche consiste à tester l’idée et la mettre en oeuvre. Les modalités de l’analogie sont diverses : l’animatrice commerciale l’encourage à simuler un entretien avec un journaliste pour peaufiner les caractéristiques de son offre. Le créateur s’est inspiré de ses concurrents pour son positionnement. La similarité de raisonnement sur l’accroche est relevée en groupe tout comme la difficulté de formuler lors des mises en situation qui se révèlent pourtant fructueuses (Louafa et al., 2008). La problématique de l’offre est travaillée jusqu’à faire ressortir le point saillant (un espace dédié à plusieurs fonctions), et sa stratégie de développement en réseau. L’accompagnant l’incite à envisager une association avec un autre
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entrepreneur et à trouver des clients de référence à faire témoigner sur un site web pour démarrer. Le créateur autonome et proactif sur le point d’achever ce travail, abandonnera le projet et s’associera.
3.1.6. Flash : formation sur un nouveau langage informatique vers le web 2.0
L’imagerie semble très présente chez le créateur qui a déjà monté un certain nombre de formations. Les moments de divergence et de convergence alternent et permettent d’étayer l’idée et de tester de nouvelles orientations à un rythme régulier. Le discours commercial trop technique est travaillé. Le modèle économique est étudié en même temps que l’organisation des associés. Des pistes de plusieurs cibles sont évoquées : directions des ressources humaines (D.R.H.), ingénieurs informaticiens qui seraient prescripteurs et qu’ils formeraient, voire des prestataires formés par leurs soins qu’ils placeraient dans les sociétés. La première évaluation situationnelle a lieu lors de la sélection de l’incubateur mais surtout lors de la première présentation devant le groupe de créateurs lors de l’atelier commercial. L’utilité concrète du langage est ainsi abordée (Web 2.0). Mais elle n’est pas perçue par un D.R.H. rencontré. En revanche le prototype développé pour Ubi permet une autre évaluation situationnelle. Les prévisions sont évaluées lors du jury. Pour le créateur c’est le plan de route mais pas la route. L’organisation de la réflexion se fait autour des experts et de l’accompagnant sur le travail du discours commercial, l’accroche et la résolution du développement stratégique et de l’organisation. Des diagnostics stratégiques sont posés comme l’identification de deux concurrents. Sa cible est finalement fixée (SSII et organisme de formation) et l’offre de formation étayée. La démarche qui agit comme un fil directeur est la volonté du créateur de développer son entreprise. Analogies et simulations d’exemples permettent de travailler la tarification et l’offre. L’accompagnement permettra d’identifier les problèmes à régler afin d’envisager le développement : En réalité, le besoin est d’abord d’organiser les tâches et de choisir la répartition exacte des rôles entre les deux associés (technique et commercial).
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L’expert commercial aide à épurer des termes techniques le discours sur l’offre, l’expert financier conseille d’éviter le terme client rich. L’animatrice commerciale afin de faciliter la communication incite à s’appuyer sur un produit. Il teste leur stratégie commerciale de former des prescripteurs. Le modèle économique évolue : l’intensification des formations permettra de financer le développement de prototypes. Ce que confirmera un autre accompagnant qui interviendra ponctuellement qui conseille aussi de se faire connaître par des articles. Le discours commercial modifié et le positionnement élargi : Coll leur propose de réaliser une formation sur le wiki à Air France, Ubi lui propose de rencontrer des clients potentiels de coaching de dirigeant à distance. Le créateur réalise que la barrière est l’entrée est sa maîtrise du langage et sa capacité à former dessus : la formation qu’il donne chez Macro média, un gros concurrent, le confirme. Les expérimentations internes et externes à l’incubateur permettent au créateur de réaliser ses problèmes d’organisation avec son associé, et que la prise de recul, certes difficile, doit se faire en parallèle de la commercialisation pour avancer. Sa réflexion a ainsi évolué, dans la foulée, le logo, la charte et le nom de société sont choisis.
3.2. Discussion
La discussion porte les capacités mobilisées, les compétences à exercer et leurs conséquences en amont des idées d’innovation : elles accélèrent leur mise au point, facilite leur diffusion et initient une dynamique qui stimule le retour sur la pensée.
3.2.1. Facilitation de l’innovation par les capacités
La réflexion sur la formulation de l’idée illustre l’évolution de l’idée à la fois plus détaillée, plus articulée et plus flexible qui facilite sa diffusion. La capacité d’imagerie semble plus présente au cours des innovations technologiques que de procédé. Toutefois, cette dernière étant plus souvent issue de l’expérience, l’hypothèse plus vraisemblable est que l’imagerie a été sollicitée au cours des expériences précédentes qui ont donné lieu à une objectivation même partielle de l’idée. Les cas étudiés d’innovation de procédé (Temp ou Tour’Alert) ne
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peuvent être généralisés. Ils illustrent néanmoins une difficulté à la formalisation de l’idée malgré des expériences significatives des créateurs dans les secteurs dans lesquels ils innovent. La divergence et la convergence ainsi que les différents types d’évaluation permettent de tracer plus facilement l’évolution de leur réflexion et maintiennent la dynamique de réflexion : évaluations diverses internes et externes d’experts, clients ou partenaires, normatives (sélection, jury, prix ou pour obtenir des subventions), situationnelles et prévisionnelles (stratégie, financière, partenariat). Les innovations technologiques se prêtent plus facilement à l’obtention de prix pouvant même être décernées avant l’élaboration de l’idée, sa mise au point ou sa diffusion. Il reste que la dynamique semble déjà présente dans les innovations de procédé : les contacts sont déjà établis mais sollicités que lorsque que l’idée est sur le point d’être mise en oeuvre. La créativité fait appel à différents modes analogiques. Elle est présente au niveau technique ou technologique et de la définition et de l’organisation du projet. La résolution de problème est souvent le fruit d’expérience (individuelle ou de tiers) ou déléguée, les méthodes sont ainsi diversifiées mais pourraient l’être davantage. Des diagnostics sont réalisés à la faveur de cours académiques ou d’intervention d’experts. Ceux de situation et projectifs rares, nécessitent une certaine transparence et une analyse des risques lacunaires en début de parcours et pourtant déjà inhibiteurs. Ceux normatifs posent parfois des problèmes mais sont déjà, ou facilement, repérés et intégrés. Tous les créateurs font preuve de capacité d’expérimentation ne serait-ce qu’en décidant d’entrer dans l’incubateur. Ils ont en revanche un parcours ou une approche qui s’y prête plus ou moins. Les capacités cognitives mobilisées facilitent la mise au point et de la diffusion de l’innovation et amorcent une dynamique favorable à l’innovation.
3.2.2. Des compétences à exercer
La démarche d’innovation nécessite de faire appel à des compétences adaptées à la nature des éléments cognitifs de la genèse. Les compétences relevées consistent à alterner les moments
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de la pensée, organiser la réflexion et mettre en place une méthodologie évolutive et un dispositif cognitif pertinent. La pensée créative, notamment l’alternance régulière et fréquente de la divergence et de la convergence semble plus prégnante dans le cas d’innovation technologique. Les créateurs ou diffuseur d’innovation technologiques se confrontent plus aisément à divers interlocuteurs (même après un temps de réticence ou de latence) dont ils ont de fait besoin pour mettre au point leur innovation (Ubi, Coll, Flash) que des créateurs à l’origine d’innovation dans les services. L’organisation de la réflexion autour d’activités semble plus aisée dans une innovation technologique où la mise au point nécessaire initie des contacts divers, des diagnostics différents, progressivement étayés grâce à la recherche d’information. L’idée travaillée, est plus compréhensive : au niveau de la technique parfois obscure ou du bénéfice client peu reconnu. Elle est remodelée selon l’interlocuteur de façon adéquate. Elle est ainsi mieux reçue et donne lieu à l’obtention de nouveaux clients, partenaires ou financements. Son enrichissement est plus significatif que dans celle de procédé qui, tirée de l’expérience, a déjà été élaborée et testée. Les créateurs sont capables d’organiser leur réflexion et les rencontres pour la nourrir. L’intérêt de l’incubateur, sorte d’expérimentation grandeur nature, est de mobiliser, dans un court laps de temps, différents experts, clients, partenaires, fournisseurs potentiels autour de l’émergence d’une idée et de procurer des contacts et moyens que le créateur n’aurait pu obtenir seul, ou difficilement.
La méthodologie, pour favoriser l’émergence d’une idée, est tournée soit vers la créativité soit vers la résolution de problème. La démarche agit comme un fil directeur. Elle est gardée à l’esprit même si elle peut évoluer. Il ne s’agit pas de programmer au sens strict (Alter, 1995). L’objectivation conduit à la réorienter ou à la compléter. La créativité permet des temps de divergence favorisant la recherche de nouvelles informations de sources diverses. La résolution de problème permet de mobiliser la perception et de favoriser l’orientation de la réflexion. Le dispositif cognitif à mettre en place doit être pertinent. Le choix des méthodes
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est important pour obtenir des réflexions pertinentes, diversifiées et fructueuses. L’analogie, la comparaison est complétée par les mises en situation et les exemples à succès pouvant constituer des trames dans la réflexion. Les méthodes de résolution de problème sont peu diversifiées. Celles utilisées consistent plutôt à des transpositions de schémas uniques pour éviter de faire des erreurs. Les diagnostics déjà établis, dans les cas d’innovations de procédé ou les entreprises déjà créées, sont difficiles à faire évoluer ou à modifier. Néanmoins les diagnostics sont difficiles à poser à plusieurs (interférences et difficulté de se comprendre des points de vue différents parfois) et pourtant leur richesse est reconnue (Anzieu, 2007). La démarche constructive évolue plus facilement qu’une démarche structuraliste et serait plus adaptée aux démarches d’innovation: les idées d’innovations technologiques moins arrêtées que celles de procédé issues de l’expérience, font appel à ce type de démarche adaptée.
3.2.3. Retour sur la dynamique de pensée
Desin qui a abandonné son idée se verra proposer une association. Elle affirmera que c’est parce qu’elle était dans une dynamique entrepreneuriale que la proposition lui a été faite. Ubi fera remarquer que la pensée alterne des phases de divergence et de convergence qui ne sont pas toujours compatibles avec le temps hors séance et en séance d’accompagnement. De même, le rythme parfois lent de l’évolution de la pensée est en décalage avec la courte durée de la formation et sa programmation au sein de l’incubateur. D’autant plus que les modes de pensée et de communication divergent d’un individu à l’autre : l’accompagnement repose sur eux et sur l’identification d’un besoin du créateur qui n’est pas toujours mis à jour en amont de la relation. L’incubateur permettrait d’initier une dynamique qui n’est pas toujours évidente à faire émerger mais qui tient souvent ses racines dans une volonté d’expérimentation de la part des créateurs. Le créateur s’ouvre à différents points de vue qu’il peut s’approprier et évite les erreurs. L’idée évolue ainsi que leur réflexion (Flash et Coll repositionne leur idée et s’ouvre à de nouvelles démarches qui leur ouvre des opportunités).
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Dans une innovation de procédé cela est plus délicat et conduit parfois à des abandons. Ce dernier type d’innovation nécessite davantage de mises en situation « grandeur nature » pour être mieux perçue.
CONCLUSION
En amont d’une innovation, les processus cognitifs appelés sont diversifiés et mettent en lumière les capacités et les compétences mobilisées: créativité, expertise, diagnostic, perception accrue, recherche et traitement d’information ; mobilisation de différents modes de pensée et leur stimulation, organisation de la réflexion. La démarche empruntée mène la réflexion mais reste évolutive, les dispositifs cognitifs mis en place peuvent être améliorés. Les modes de pensée sont créatifs mais aussi conceptuels et de facto diversifient les modes de pensée. La dynamique d’élaboration de l’idée crée une dynamique intellectuelle qui influe à la fois sur l’idée et la pensée. Le fait de diversifier les modes de pensée (créatif et conceptuel) est en soi un changement de pensée. Il perdure avec le travail des différents aspects de l’idée qui initie une pensée à la fois verticale et horizontale, technique et fonctionnelle mais aussi pluridisciplinaire. La pensée appréhende l’idée de façon plus complexe : en miroir d’une idée d’innovation plus établie mais aussi plus flexible, la pensée organisée s’enrichit.
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Les crises sont l’occasion de rencontres inter-paradigme (Boisot, 2002) comme de contrôles rares en temps d’euphorie. La crise a eu lieu malgré des dispositifs qui auraient dû permettre de l’éviter d’autant plus que certains l’avaient prévu (Rubini et Mihn, 2010). Dysfonctionnement ou lacune ? La tentation est grande de ne pas regarder en arrière et d’ajouter de nouveaux contrôles tels que des organismes sectoriels alors que certains existent déjà : politiques, alimentaires, médicaux, et de loisirs mais aussi bancaires. Avant de prendre de nouvelles dispositions, il faut comprendre la crise (est-elle financière, monétaire, économique, géopolitique et/ou sociale ?) et comprendre pourquoi les dispositifs en place n’ont pas fonctionné dans une visée d’apprentissage et de méta-contrôle. En tout état de cause la mondialisation renouvelée par les N.T.I.C.n’a pas comblé l’espoir de croissance et de régulation.

Sans exhaustivité, entre libre-marché et marché organisé, les théories économiques sont classables en trois courants afin d’étudier la crise. Les keynésiens et postkeynésiens qui proposent de relancer la croissance par des investissements publics. Les régulationistes qui soulignent la responsabilité du capitalisme dans la crise et les autrichiens libéraux qui préconisent des restrictions budgétaires. Les néo-keynésiens préconisent une solution mixte avec plus de régulation : contrôle des dépenses en ajustant la fiscalité (Cohen, 2012), avec inflation selon P. Krugman et le soutien à l’innovation (Stiglitz, 2002). G. Mestrallet comme son prédécesseur encourage le soutien aux investissements. C. Saint Etienne propose un nouveau contrat social à l’instar d’un F. Perroux .Une gouvernance mondiale s’imposerait pour une croissance concertée. Dans tous les cas, le contrôle joue un rôle soit dans la réduction des dépenses, soit dans la régulation sectorielle des pratiques ou bien dans la répartition de la croissance mondiale grâce à un Etat-monde émergent souhaité régulateur (Stiglitz, 2002, p.55).

Notre société fait face à des défis économiques et sociaux, mondiaux et géopolitiques alors que d’autres sont en plein essor. Les entreprises face à de nombreuses incertitudes et à la concurrence, des contraintes fiscales jugées trop lourdes et des dérives : les fraudes émaillent l’actualité et s’adaptant aux pratiques de plus en plus sophistiquées révèlent l’ambigüité du rôle des systèmes de comptable (Lefranc, 2009). Nous serions à une étape de transition, d’un ancien modèle technologique et de pensée à un nouveau. Cette mutation, à la fin d’un cycle long, génère des résistances et fera émerger un nouvel « ordre productif » qui permettra une nouvelle vague d’innovations que la crise paradoxalement permet d’étudier (Osier, 2003, p. 93-115). Dans ce contexte la réduction des dépenses risquent d’aller à contre-courant des investissements parfois nécessaires, l’accroissement de la régulation risque d’étouffer les initiatives et la normalisation de la croissance mondiale est questionnée, ses voies étant singulières.

Dans ce contexte, le papier interroge sur les dispositifs de contrôles à mettre en place pour favoriser l’émergence des idées d’innovation au travers d’une étude sur les créations d’entreprise ou d’activité précédée d’une revue de la littérature sur le contrôle et son évolution.

CADRE THEORIQUE

De nombreux auteurs argumentent le temps de l’interdisciplinarité en contrôle (Bollecker et Azan, 2009) et la difficulté de trouver un cadre de référence pour de nouveaux objets comme les services (Meyssonier, 2012).

La revue de littérature non- exhaustive porte sur le contrôle, plus exactement sur le management control, et sur le contrôle de crise qui mène à proposer une approche cognitive du contrôle fonction de l’objet contrôlé et de son environnement.

Les RACINES DU CONTROLE

Le management control connaît trois courants : la comptabilité de gestion, la cybernétique et les sciences sociales (Schwartz, 2002).

La comptabilité de gestion a apporté de nombreuses méthodes de calcul de coûts, de marges et de résultats afin de suivre et piloter les activités (marge sur coût variable de Harris, imputation rationnelle de Gantt, coût complet) et dans les années 1980 les tableaux de bord de Kaplan et Norton. Ces méthodes permettent aux managers de s’assurer de la rentabilité de leurs produits et de leurs activités et d’effectuer les changements nécessaires pour la maintenir ou l’accroître. Ce courant a été marqué par la métaphore mécaniste. et informatique puis par la théorie de la décision et celle institutionnelle

La cybernétique (Wiener, 1948) a marqué la théorie du contrôle en ce qu’elle a proposé un concept fondamental, la régulation, autorisant la délégation en fonction d’un objectif de résultat. Elle était possible grâce au concept de la « boîte noire ». Même si un ensemble d’activités et de processus n’est pas connu (« boîte noire »), son résultat est contrôlable en posant qu’un ensemble de ressources génèrent, au travers de cette boîte, un certain résultat de façon stable.

Le courant des sciences sociales a mis en avant un contrôle d’influence en soulignant toute la difficulté d’un contrôle soumis aux différentes interactions sociales dont Weber sera l’un des précurseurs en sociologie. Des contemporains préférant parler de leviers (Simons, 1995), de maîtrise (Bouquin, 2010) ou d’influence dans la continuité d’Anthony.

Ces trois courants se complètent plus qu’ils se concurrencent et ont amené le contrôle à se déployer mais aussi à être critiqué et à évoluer.

lES disparités du controle

Des difficultés persistent à établir un ensemble théorique cohérent tenant compte en pratique de l’ambigüité et du flou comme système de contrôle. Les tentatives d’ouverture transdisciplinaire sont freinées par des travaux parfois difficilement transposables (Bollecker et Azan, 2009, p. 78) concomitamment à des initiatives pour le repenser (Bouquin et Fiol, 2007).

Le contrôle se confond avec ses méthodes et ses outils. Mais il ne se réduit pas à cela. La fonction contrôle de gestion dans les organisations l’illustre par ses divers idéaux-types (Lambert et Sponem, 2009) : discrète, garde-fou, omnipotente et business partner.

Les outils mobilisés apparaissent parfois inadaptés. En l’absence d’étalon, notamment en stratégie ou en innovation comment contrôler ? Des dispositifs sont quand même mis en place illustrant leur aspect paradoxal et leur objectif de maitriser les tensions pour la pérennité de l’organisation (Dupuy, 2009). Les systèmes d’information peinent à satisfaire les besoins en information qualitative pour préparer le futur (Lorino, 2009). Le triptyque délai, coût, qualité s’avère insuffisant dans les projets d’innovation que les procédures ralentissent (Deroy, 2008). Une gestion de la connaissance des projets permettraient d’éviter des erreurs et de favoriser leur apprentissage.

Des études soulignent le rôle d’enquête complexe du contrôle au-delà des chiffres (Lorino, 2009). A défaut d’un cadre des leviers sont proposés qui sont des paradoxes parfois : l’hypocrisie et la déraison (Chauvey, 2010).

Le contrôle dans sa veine socio-économique s’est répandu dans les services (Meysonnier, 2012) et dans de nombreux secteurs y compris les professions libérales en s’adaptant et rappelant les aspects techniques et de leadership dont il faut tenir compte (Capelletti et Khouatra, 2009). Le management par les activités source de création de valeur rappelle surtout que réduire les coûts et améliorer la qualité c’est une combinaison de personnes, de technologies et de matières (Cauvin et Neunreuther, 2009) d’où un contrôle social en fonction des individus et des groupes impliqués.

Ces différents éléments interagissent et forment un ensemble. Ils appellent un contrôle selon la nature des éléments contrôlés qui différencie les tâches, les activités, les processus, les acteurs et l’organisation : la vigilance individuelle, la mise sous contrôle en binôme; la régulation en groupe (Pouget, 2012).

Un ensemble s’insère dans un environnement qui peut alors connaître des interactions avec d’autres systèmes. L’enchâssement des systèmes explique les problèmes entre contrôle organisationnel, régulation sectorielle et réglementaire: Il faut s’assurer, sinon de leur cohérence, tout du moins qu’ils aillent dans le sens souhaité et non à contre-courant voire destructeur.

Face à une telle imbrication, la vigilance est centrale et un contrôle systémique possible s’il est mis à l’épreuve régulièrement. D’où l’idée d’une sorte de métacontrôle1 qui permettrait au contrôle d’évoluer et de s’adapter à l’instar d’une organisation grâce à la gestion des connaissances dans une visée d’apprentissage (Pesqueux et Ferrary, 2006).

A l’opposé, des chercheurs notamment en création d’entreprise proposent des approches pragmatiques qui consisteraient à ne contrôler que ce qu’ l’on peut contrôler (Sarasvathy, 2009).

Quel contrôle envisager pour favoriser l’innovation en temps de crise ?

 

LE CONTROLE DE CRISE

La crise serait issue du décalage entre profit attendu et réalisé. Le contrôle doit être rigoureux pour maintenir ou se défaire de l’ancien appareil productif et prospectif pour préparer l’avenir. Au niveau de l’organisation, les dispositifs de contrôle de gestion sont capables de mettre à jour ce type de décalage grâce au contrôle budgétaire et de réguler les pratiques au travers de dispositifs de normalisation. Pour ce qui est de l’avenir en quoi le contrôle peut-il réduire les coûts tout en favorisant l’innovation ?

Il est plus légitime de contrôler au moment d’une crise et de réduire les coûts mais le manque d’anticipation peut alors provoquer certaines rigidités, avec des contrôles mécanistes et outillés parfois inadaptés (Lenfle, 2004). Aussi le contrôle doit être modulaire fonction de l’objet contrôlé. L’autocontrôle – favorisé dans le contrôle à distance (Dambrin, 2005) – facilite l’adaptation en laissant des marges de manœuvre.

La crise incite à agir rapidement, mais parfois le temps est nécessaire pour apporter des correctifs ou se préparer à la réalité à venir. D’autant plus que la confiance et la communication manquent pour favoriser l’apprentissage organisationnel et la capacité à réagir (Chanut et al., 2012, p.116). Les organisations telles que les incubateurs, les sociétés d’essaimage ou les réseaux permettent de faire face à un environnement turbulent. Ce sont les différents aspects du contrôle qui le permettent : formel, informel ; interne et externe (Bouquin, 2010, p.83). Le contrôle permet d’identifier les tensions qui s’amoindriront avec le temps et aide à gérer les paradoxes par essence insurmontables. Il faut donc un contrôle ambidextre (Soulerot, 2008).

L’enchâssement des contrôles doit être à la fois restrictif et créateur. La non prise en compte des interactions entre contrôle est préjudiciable ne serait-ce qu’au niveau d’un projet (Méric, 2010, p.119). En cela réside toute la difficulté : la vigilance de chacun peut l’atténuer et une approche systémique l’appréhender (Morin et Le Moigne, 1999).

Suite à cette revue de littérature un modèle de contrôle (Figure 1Le contrôle cognitif) est proposé tenant compte du contexte de transition. Le contrôle: modulaire, interactif et pertinent tiennent compte de la nature de l’objet contrôlé (Bouquin, 2005), des ses interactions sociales et d’une approche systémique.

ETUDE EMPIRIQUE

Le modèle proposé a été élaboré et testé sur des cas de création d’entreprise et d’activité en tenant compte de la spécificité de l’objet étudié, de la nature de ses éléments et de l’ensemble qu’ils constituent : le contrôle de création se formalisant par un projet mettant en œuvre des innovations de produits ou de services dans un certain environnement.

METHODOLOGIE

La recherche compréhensive et interprétative a consisté à saisir autant que possible l’objet étudié.

Il est délicat d’observer un projet (Méric, 2011, p.110) a fortiori une idée jusqu’à l’innovation. L’idée par essence individuelle est observable via sa formulation verbale et scripturale ainsi que sa formalisation au travers d’un projet.

Une attention particulière a été portée à la méthodologie afin de saisir in vivo le projet qui pose une problématique épistémologique. Il est difficile de l’observer de manière exhaustive et les méthodes consistent à reccueillir des récits a posteriori. Leur inconvénient est de reconstruire la réalité (Boudes, 2006) ce qui ne permet de retranscrire ce qui se passe durant un projet et de ce fait de discuter d’un contrôle adapté. Que ce soit en création d’entreprise ou en grandes organisations, les considérations de temps, d’espace et d’individus rendent difficile une observation complète. D’autant plus que les concepts de création d’entreprise et de projet sont encore flous (Boutinet et Raveleau, 2011) et les modèles peu adaptés. Comment être au plus près de son objet sans le dénaturer et pouvoir y avoir un large accès ? Cela a questionné le positionnement de recherche à adopter.

Une démarche anthropologique d’observations, abductive comportant plusieurs aller et retour entre la théorie et le terrain a été adoptée. Ce qui a permis d’enrichir le cadre conceptuel au fur et à mesure des observations et de leur analyse tout en préservant un certain recul. Les cas de créations d’entreprise ont été étudiés in vivo au sein L’incubateur, organisation apprenante, offre la possibilité d’observer in vivo les projets. Les projets de création d’activité ont été étudiés via les récits des créateurs. Ils ont permis de procéder à une analyse assertive et/ou contradictoire de l’objet étudié et de son contrôle.

L’incubateur Novancia (ex-Advancia créée en 2005 à l’instigation de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris et de l’école d’entrepreneuriat éponyme a été choisi afin d’observer de futurs ou jeunes créateurs d’entreprise. Il a aussi donné la possibilité d’assurer la pertinence et l’accès à des données diverses et des cas multiples. La triangulation des données a consisté à étoffer et à mieux « enraciner » dans les faits les données recueillies selon la Grounded Theory (Glaser et Strauss, 1967). Elle comprend des bandes-son de créateurs en situation d’accompagnement (20 h), des observations, des entretiens (50) avec tous les acteurs de la création internes et externes et des documents (notes de suivi des accompagnants, le book des créateurs) avec des documents institutionnels. Les données qui ont servi aux analyses ont été recueillies de 2006 à 2008. Et en particulier sur une promotion de sept créateurs qui sont restés huit mois au sein de l’incubateur.

ETUDE DE CAS

Pour traiter et restituer les données, la méthode de l’étude de cas (Eisenhardt, 1989) a été choisie afin de décrire et d’analyser finement le projet et son contrôle. Les cas ont été restitués sous forme de fiction (Geertz, 1990). Les histoires des cas (Loufa et Perret, 2008) permettent de faire valoir certains aspects et d’en tirer quelques enseignements pas tout à fait prédictifs mais illustratifs. Les cas ont été choisis avec le directeur de l’incubateur au regard de leur diversité et de leurs promesses de potentialité.

Les sept cas choisis font partie de la seconde promotion de l’incubateur de quatorze candidats. Quatre étaient dans les nouvelles technologies de la communication et en majorité dans les services à la personne ou aux entreprises : des produits bio ou des plantes grimpantes sans terreau. La promotion regroupait à la fois des étudiants (deux) et des professionnels en finance, conseil, commerce dont trois à l’international. Deux n’avaient pas encore monté leur structure : le premier, Temp, porte sur une idée d’affaires dans le recrutement intérimaire de profils de hautes compétences. Le second, Ubi, sur la connaissance d’une opportunité : une innovation technologique à mettre au point et diffuser. Le troisième et le quatrième concernent un projet déjà réalisé par deux associés, dont le premier a monté la structure : le troisième, Coll, porte sur la diffusion d’un logiciel collaboratif créé par un polytechnicien dont l’associé est responsable du développement. Le quatrième, Flash est un projet de commercialisation d’application client rich facilitant la navigation bureautique et internet ainsi que de formation au langage informatique américain Flash dont l’associé a été le premier certifié en France. Le dernier Desin abandonnera son projet de décoration modulaire pour s’associer à un de ses amis. Le septième Tour’Alert est un cas reposant sur l’idée d’un service de veille et de diffusion d’informations sur les « risques pays » à destination des voyageurs à l’étranger mais aussi d’information des ressortissants à prendre en charge en cas de crise auprès du Ministère des Affaires Etrangères.

Les cas assertifs et/ou contradictoires sont au nombre de treize auprès de grandes organisations : l’e-book chez Flammarion, les Kit-financiers chez BNPPAM, une start-up, BNP Assurance, une activité de microcrédit, un projet d’ingénierie chez Vinci et un projet culturel, le Puy du Fou.

L’ebook est comparable à un rubicube. En fonction de chaque interlocuteur, sa présentation doit être adaptée à son langage, à ses modèles et à ses techniques, tout en gardant les mêmes racines. Cette métaphore permet de comprendre qu’il y a plusieurs visions (commerciales, stratégiques) d’un même projet singulier qui une fois élaboré étayent le projet qui peut être formalisé au travers d’un business plan cristallisation de la démarche.

La vente en kit des services financiers à l’étranger a été étudiée auprès du responsable de BNPPAM. L’idée de développement de cette activité a émergé de l’association d’un profil professionnel et du souhait d’un changement de stratégie d’un client : c’est grâce à l’attention du responsable que le projet a vu le jour. L’approche rationnelle n’est pas toujours adéquate parce qu’un client n’est pas toujours capable de formuler son besoin. Il faut être proche du marché et savoir capter les « signaux faibles ».

Le cas d’un fonds de start-up illustre que l’organisation d’une grande entreprise peut faire échouer des projets d’innovation par manque de réactivité dans ses délais et ses procédures, mais elle qu’offre des possibilités de financement et de stratégie voire de réflexion pluridisciplinaire et de pilotage via des comités exécutifs et des « sponsors » dont ne disposent pas les petites organisations.

Dans le cas de BNP Assurance c’est une évolution réglementaire à l’origine de la création d’activité. Le groupe offre un cadre stratégique, un dispositif de pilotage avec des critères à respecter, ce qui nécessite de savoir « où l’on veut aller ». Il permet aussi un partage des connaissances du marché en France et à l’étranger sur lequel peuvent s’appuyer les équipes commerciales, mais il apporte aussi un soutien financier au démarrage : les frais généraux doivent être réduits mais pas nécessairement couverts dans un premier temps. Le produit net bancaire est en revanche retenu comme critère, dès la première année. Par la suite il permet des stratégies de prix bas pour pénétrer des marchés.

Le projet de microcrédit est passé d’un modèle ONG à un modèle financier au cours « d’un processus itératif » long. Le projet partagé (les différents interlocuteurs métiers, pays, associations, personnalités de la microfinance et financeurs…) a pu s’appuyer sur des compétences internes et un tuteur. Le cadre requiert pour le créateur d’avoir un « plan de vol ». Le financement a été défini par le responsable financier avec des critères précis de crédit. Le temps de la validation (obtenir sponsors et soutiens des responsables métiers) et de la mise en œuvre, ont retardé le projet alors qu’il devançait les concurrents.

Le projet d’ingénierie chez Vinci a consisté à passer d’une offre d’électricité, à celle de la fibre optique puis à une offre intégrée reposant sur l’innovation technologique du le câble écranté qui reçu un accueil favorable de leurs clients notamment, la Société Générale. Le P.D.G. profita des compétences du groupe pour les projets transversaux, de son réseau et de la fonction support juridique pour le montage des structures nécessaires à cette nouvelle activité. Il confie qu’une personne lui a fait confiance, à qui il rapportait les résultats de ses activités consécutives et, avec qui, il discutait des perspectives stratégiques de ses projets ce qui lui a permis de développer ces activités, son autonomie s’accompagnant d’un « reporting » fort.

La création du Puy du Fou débute avec la lecture d’un article qui aboutira au lancement de la Cinéscénie en 1978. Son créateur essuie des oppositions et des doutes, surmonte sans cesse contraintes et obstacles. Fort de quelques appuis, sa volonté fera le reste. L’adhésion de bénévoles permettra de le jouer à plus grande échelle. Depuis, la créativité est toujours renouvelée : chaque représentation est étudiée et améliorée et de nouvelles exhibitions sont jouées au Parc de loisirs créé 1988. En 2011, son Président, félicité par Spielberg et Lucas, a reçu le Thea award, la plus haute distinction américaine des parcs d’attraction et a créé une branche internationale afin de répondre aux nombreuses demandes de projets.

ANALYSE ET DISCUSSION

Les résultats sont synthétisés dans le Tableau page suivante (Tableau 1 Synthèse des résultats).

Le contrôle modulaire est en partie validé dans l’organisation apprenante. Le contrôle d’exécution et de pilotage est plus ou moins important selon les cas.

Les grandes organisations imposent une programmation : un plan de vol mais aussi un projet détaillé et un pilotage formel.

Le contrôle interactif est illustré principalement par le contrôle exercé par les doubles. La vigilance des créateurs s’illustre par leurs réflexions sur leur pensée et leur « fil directeur » en choisissant leurs thèmes de discussions. Les cas Temp et Ubi illustrent les modalités du contrôle par un double (accompagnant ou intervenant) qui met sous-contrôle la réflexion sur le projet : le suivi des visions, suggestion de nouveaux thèmes, pose et recadrage des problèmes, élargissement et ventilation des hypothèses stratégiques, de l’offre et du plan d’affaires, questions, tests, diagnostics et conseils. Ils montrent aussi la régulation exercée par le groupe quant à ses idées, tests et diagnostics ainsi que ses conseils. Les cas Flash et Coll confirment la mise sous-contrôle effectuée par les accompagnants afin d’éviter notamment les erreurs. Ils valident aussi le rôle de régulation du groupe aussi apporteur d’idées et de solutions. Il est en est de même avec les cas assertifs et contradictoires : à ceci près qu’elle est plus formalisée et dès l’amont du projet comme la mise-sous contrôle de la réflexion au travers du co-traitement des thèmes du projet avec les partenaires et équipes pluridisciplinaires. Tous les créateurs ont, de fait, un double avec qui ils réfléchissent qu’il soit un associé, accompagnant, tuteur, sponsor exerçant une mise sou-contrôle de la réflexion et un pilotage plus ou moins formalisé du projet.

Ubi et Temp illustrent partiellement le contrôle systémique. Les paradoxes ne sont que très rarement évoqués par rapport au temps (objectivation lente, matérialisation réductrice). Les tensions sont, en revanche, rapidement identifiées et diminuent au fur et à mesure que les problèmes sont traités. Les interactions sont cernées, suivies et traitées pour rendre le projet cohérent sous certains aspects seulement. La cohérence d’ensemble est validée, à la sortie de l’incubateur, par un jury et par le directeur. Les cas Flash et Coll n’évoquent pas de gestion des paradoxes, mais confirment le repérage des tensions et leur amenuisement au fur et à mesure des échanges ainsi que le suivi des interactions des thèmes. La cohérence apparaît, là encore, formelle et en fin de parcours. Les cas assertifs et contradictoires fournissent peu d’éléments a posteriori sur ces sujets : la cohérence d’ensemble validée par des comités, les tensions sont évoquées, un des paradoxes des grands groupes souligné : avoir les moyens permettant de favoriser l’incubation tout mais en étouffant la créativité.

Organisation Apprenante Grande marchande Non-marchande
Contrôle
Informel et diffus
Formel et pluridisciplinaire
Dynamique de créativité
Modulaire
Exécution et pilotage plus ou moins. Faible programmation
Pilotage et programmation
Exécution et pilotage
Interactif
Vigilance, mise sous-contrôle et régulation
Autocontrôle, mise sous-contrôle et régulation
Mise sous-contrôle et régulation
Systémique
Gestion des tensions, des contraintes et interactions, rare gestion des paradoxe
Gestion des tensions, des contraintes, interactions, paradoxes peu évoqués
Gestion des contraintes, tensions et des paradoxes

Cette étude nous a permis de mettre en exergue plusieurs éléments à prendre en considération. Il faut distinguer création et innovation. Une création d’activité peut porter sur une innovation mais pas systématiquement, elle peut aussi être la reproduction d’une activité existante. Une innovation peut porter sur un produit, un service, mais aussi sur leur adaptation qui peut être consécutive à une demande nouvelle ou d’autres innovations. Cependant, elle ne répond pas toujours à une demande identifiée. L’idée d’origine peut être fortuite, venir d’une lecture, d’une rencontre ou d’une expérience mais pas forcément d’un client Sa mise à jour peut donc s’avérer être un processus long dans ce dernier cas et pas toujours conscient. Les modèles connus de projets ne sont pas toujours adaptés ainsi que leurs méthodes classiques de contrôle (Lenfle, 2004). Le temps de préparation d’un projet, au sein d’une grande entreprise, est parfois laborieux : les créateurs doivent essuyer des contraintes organisationnelles, des procédures (Deroy, 2008), mais, bénéficient, quand le projet est validé, de moyens financiers, juridiques commerciaux et techniques ainsi que du réseau du groupe. Ils sont aussi soumis à un dispositif de pilotage (comité exécutif, à qui ils doivent rapporter, et des outils comme des rapports, et des indicateurs qu’ils doivent rédiger) qui sont parfois inhibiteurs ou inadaptés (Lorino, 2009 ; Méric, 2011) mais dont ils tirent partie telles que les compétences des équipes pilotes voire d’un tuteur ou d’un sponsor. Ils profitent aussi d’un dispositif de réflexion : il leur est demandé par les équipes de pilotage ou leur tuteur, d’établir des plans ou des programmes – à trois ans par exemple – dans le cadre d’une stratégie définie par leur groupe. La maturation des projets est plus ou moins longue ainsi que leur mise en œuvre : un projet artistique peut voir le jour rapidement mais l’idée avoir mûrie pendant longtemps, tandis qu’un projet financier pourra connaître une longue phase de maturation liée à l’étude des risques alors que l’idée (cf. microcrédit) est déjà mise en œuvre par des concurrents. La détermination du moment de leur cristallisation n’est pas évidente. Elle peut se faire lors de la présentation d’un prototype, d’un essai ou bien, lors d’une rencontre ou d’une réunion. L’obtention d’une référence semble être un facteur de réel démarrage. Il reste que les récits sont reconstruits a posteriori et parfois la mémoire ne permet pas de retracer l’exacte évolution de ce processus de conception déjà partiel au niveau d’un individu. Ceci amène à gérer de nombreux paradoxes de la conception et l’imbrication de dispositifs de contrôle plus ou moins formels. Il faut prendre garde à leurs interactions parfois préjudiciables (Méric, 2011).

Conclusion

L’idée et le projet (d’innovation) appellent donc un contrôle à la fois modulaire, interactif et systémique ce dès l’amont des projets. Cette étude a permis d’illustrer un modèle cognitivo-sociologique du contrôle.

La tradition managériale a permis de mettre en place des délégations en contrepartie de contrôle et de diversifier des activités et de les développer géographiquement en tenant compte des spécificités métiers et des cultures.

Cette vision analytique complétait la vision comptable et a contribué à outiller le contrôle. Les organismes de contrôle sectoriels se sont mis en place doublés d’organismes régulateurs nationaux voire supranationaux et mondiaux réglementaires et institutionnels. Ils ont montré leur dysfonctionnement et leurs lacunes.

Compte tenu du contexte le contrôle à venir doit être rigoureux tout en étant flexible mais aussi savoir s’autocontrôler. La crise a ses bénéfices : à la fois elle remet sous les feux de la rampe les cost-killers, le contrôle peut s’affirmer et se doubler d’une régulation : celle-ci doit faire appelle à la vigilance pour que les systèmes de contrôle puissent eux-mêmes évoluer et s’adapter à des objets complexes ou imprédictibles. Le contrôle doit être pensé en fonction des prochains temps d’expansion afin de préparer, puis de favoriser l’innovation et ainsi préserver sa légitimité: la vigilance reste de mise trop de contrôle remettrait en cause le contrôle durablement. Il faut probablement un système de contrôle innovant organisateur à la façon d’un Barnard et leader à la façon d’un Mary Parker Follett qui soulignait l’importance de la boucle créative des managers (Wren, 1998).

NOte

1 Levy et Trevarthen (1976) ont défini le métacontrôle comme « un mécanisme neutre qui détermine quel hémisphère est apte à contrôler l’opération cognitive ».

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